ictime d’une tentative de meurtre par son conjoint, abandonnée par la justice, Laura a lancé un SOS sur Twitter pour mobiliser l’opinion publique.
Laura Rapp, 33 ans, a refusé la fatalité de mourir sous les coups de son ex-conjoint. Sans protection aucune face à lui, elle a livré bataille pour sauver sa vie et celle de sa fille Alice, avec tous les moyens à sa disposition. Notamment en mobilisant l’opinion publique grâce aux réseaux sociaux et aux médias. Aujourd’hui, elle vient de publier un livre Tweeter ou mourir, (éd. Michalon), où elle raconte son combat personnel et son engagement pour les femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants.
« Je n’arrivais pas à admettre qu’il s’agissait de violences conjugales »
A la première gifle que m’a donnée mon conjoint, j’aurais dû partir, c’est certain. Cela semble si simple vu de l’extérieur ! Mais la réalité d’une relation amoureuse toxique est hélas tellement plus complexe… Au fil des mois, je me suis retrouvée prise au piège de son emprise, de son contrôle et de ses menaces. Muselée par la honte et la culpabilité d’accepter l’inacceptable, les insultes, les humiliations, les coups. Je tentais de me persuader que je vivais un amour conflictuel et passionnel, je n’arrivais pas à admettre qu’il s’agissait de violences conjugales. Jusqu’à cette soirée d’avril 2018 où il a tenté de m’étrangler devant notre petite fille de 2 ans. Si des voisins n’étaient pas intervenus, je serais morte. Il a fallu ce drame pour que je décide de porter plainte contre mon bourreau et de m’en remettre à la justice.
« Je me suis soumise à toutes les étapes de la procédure »
Mon conjoint a rapidement été incarcéré et mis en examen pour tentative de meurtre. De mon côté, je me suis soumise à toutes les étapes de la procédure. Dépôt de plainte au commissariat, confrontation avec mon agresseur, examen à l’Unité médico-judiciaire, audition de plusieurs heures avec la juge d’instruction, expertise psychologique. Tout cela était extrêmement lourd et pas toujours d’une grande bienveillance. De manière plus ou moins explicite revenait souvent cette interrogation, tellement culpabilisante : mais pourquoi n’êtes-vous pas partie ? Aucun soutien psychologique ne nous a été proposé, ni à moi ni à ma petite fille qui cette nuit-là avons pourtant vu la mort de près. J’ai dû me débrouiller seule pour trouver un psychiatre pour moi et une pédopsychiatre pour ma fille pour prendre en charge notre traumatisme. Mais j’ai supporté en me disant que c’était le prix à payer pour être enfin libérée de cet homme et avoir droit à une vie normale.
« J’étais abandonnée, livrée à mon bourreau »
Le choc fut donc terrible quand, un an plus tard, mon ex-conjoint a été remis en liberté en attente du procès, sans bracelet électronique. Il était certes assigné à résidence en province, loin de la région parisienne où je vivais. Mais aucun moyen n’a été déployé pour s’assurer qu’il respectait ses obligations. Et il les a évidemment transgressées ! Jusqu’à venir m’attendre devant chez mes parents. Mon père l’a fait fuir, je suis allée déposer une main courante au commissariat et la juge d’instruction en charge du dossier a été alertée. Mais elle ne m’a jamais répondu et n’a pas ordonné la réincarcération de mon ex-conjoint. Il est donc resté en liberté, tandis que moi je vivais comme une bête traquée, m’attendant à chaque instant à ce qu’il me tombe dessus pour tenter à nouveau de me tuer. En état de terreur perpétuelle, j’ai essayée d’obtenir un « téléphone grave danger » mais ma demande est restée sans suite. J’avais été abandonnée, livrée à mon bourreau.
Il ne me restait que les réseaux sociaux »
A ce moment-là, j’ai compris une chose : si tant de femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint, cela n’est en rien une fatalité mais trop souvent le résultat d’un système qui dysfonctionne. Les victimes de violences conjugales sont incitées à porter plainte et aller en justice. Mais rien n’est fait pour les soutenir dans ce long et éprouvant parcours ni pour les protéger. Alors j’ai décidé de chercher ailleurs une protection susceptible de me sauver la vie : sur les réseaux sociaux. J’ai bien conscience que ce n’est pas le lieu où la justice doit se rendre. Mais comment faire quand elle ne se rend nulle part ? Après mûre réflexion, le mardi 14 mai 2019, j’ai posté un message sur Twitter, intitulé « A l’aide ». J’y ai exposé ma situation, le danger de mort que je courais et mon désespoir après avoir épuisé sans succès tous les recours officiels.
« Une immense chaine de solidarité s’est formée »
Allait-on me traiter de fabulatrice, m’insulter, lâcher sur moi des torrents de haine comme cela arrive souvent sur les réseaux sociaux ? Cela été tout l’inverse ! En l’espace de quelques heures, j’ai reçu une multitude de messages bienveillants, provenant de femmes mais aussi d’hommes. Mon tweet a été très largement partagé. Une immense chaîne de solidarité s’est formée pour interpeller les pouvoirs publics sur mon sort. J’étais tellement soulagée que quelqu’un m’entende enfin ! Cette vague d’indignation est parvenue aux oreilles de journalistes, ils ont fait des articles et demandé des explications insistantes au Parquet. Face à la pression, la justice a ordonné la réincarcération de mon ex-conjoint. Et tout cela en une semaine, alors que j’alertais et suppliais en vain depuis trois mois. Twitter m’a sauvée la vie et celle de ma fille !
« La médiatisation m’a permis de continuer à me sentir vivante »
Ce tweet a donné de la visibilité aux femmes victimes de violences conjugales qui, une fois qu’elles ont enfin réussi à trouver le courage de porter plainte, subisse l’abandon par le système judiciaire. C’est leurs voix à toutes que j’ai voulu porter lorsque j’ai été invitée au Grenelle sur les violences conjugales organisé par le gouvernement en septembre 2019. J’ai notamment été consultée pour améliorer les procédures d’obtention du « téléphone grand danger » et du « bracelet anti-rapprochement ». Alors que j’attendais le procès aux Assises de mon ex-conjoint, cette médiatisation autour de moi m’a permis de continuer à me sentir vivante, me donnait l’impression d’une bulle protectrice. Même si bien sûr, il y avait aussi le revers de la médaille. Car la médiatisation ne fonctionne pas à sens unique, elle réclame son dû, se repait de votre vie privée étalée aux yeux de tous, suscite des jalousies chez certains et provoque des attentes énormes chez d’autres victimes.
« Ma fille et moi avons pris souffrance à perpétuité »
Le procès a été d’une violence inouïe, j’y ai été traitée comme une criminelle, humiliée par les avocats de la défense. Mais à la fin, mon conjoint a été condamné à 8 ans de réclusion criminelle et 5 ans de suivi socio-judiciaire. Il encourait la perpétuité, il ne s’en est pas si mal sorti… Mais le juge a refusé de le déchoir de ses droits parentaux : il a considéré que sa tentative de meurtre contre moi sous les yeux de notre fille terrifiée n’entachait en rien ses aptitudes à être un bon père ! Peu importe que les pédopsychiatres aient diagnostiqué un sévère syndrome de stress post-traumatique chez Alice : elle devrait continuer à côtoyer son père, au nom du lien biologique sacralisé par la justice de notre pays . Malgré mon épuisement et les énormes difficultés économiques dans lesquelles m’ont plongée ces années de procédures judiciaires, j’ai fait appel et nous avons gagné : mon ex conjoint a été déchu de ses droits parentaux. Cette décision fera jurisprudence et elle constitue un immense espoir pour tous les enfants trop souvent « victimes fantômes » des violences conjugales. Aux dernières nouvelles, mon bourreau a demandé un aménagement de peine, alors même qu’il n’a pas encore effectué la moitié de sa condamnation. Ma fille et moi avons pris souffrance à perpétuité… « 16