Le féminicide : enjeu majeur de société.

L’actualité médiatique égrène tous les deux jours les circonstances d’un féminicide. Si le mot semble, depuis quelques mois, découvert par le grand public et passer dans le langage commun et courant et préoccuper les pouvoirs publics sous forme de « Grenelle des violences faites aux femmes », des recherches menées par un groupe de chercheurs de l’université de Poitiers depuis plusieurs années décrivent, par un éclairage pluridisciplinaire, une réalité ancrée dans l’histoire, intime et sociétale, à l’échelle internationale.

Les crimes commis spécifiquement contre les femmes sont une réalité sociale qui alerte les pouvoirs publics et les chercheurs. Un ouvrage, On tue une femme. Histoire et actualité du féminicide (L. Bodiou, F. Chauvaud, M.-J. Grihom, L. Gaussot et allii., Hermann, 2019), réalisé par des collègues membres de plusieurs laboratoires poitevins, ainsi que la MSHS, avec l’appui de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances de l’Assemblée Nationale, et le concours d’un laboratoire de recherche de l’Université Paris Diderot est paru. Les contributions scientifiques permettent de prendre la mesure du phénomène et de comprendre les débats actuels.

Faits divers /faits de société/faits de vocabulaire

De tout temps et en tous lieux, des femmes ont été maltraitées, brutalisées et élevées dans une culture de l’infériorité. Les violences exercées contre elles, du mariage forcé aux coups répétés, sont des violences de genre qui induisent une sorte de banalité, voire d’impunité, conduisant au crime de sang. Lorsque l’On tue une femme en raison de son sexe, il s’agit d’un féminicide qui est un crime de haine contre les femmes, pour ce qu’elles sont ou ce qu’elles représentent. De nombreux pays d’Amérique latine ont fait figurer la notion de féminicide dans les législations nationales. Du continent asiatique auquel les filles « manquent », à l’Amérique du Nord, en passant par les pays européens qui tentent de légiférer, sans oublier l’Afrique et les organisations internationales, dont l’ONU et l’OMS, une prise de conscience s’est fait jour : le féminicide est un fléau universel et le défi majeur des sociétés au XXIe siècle. Le mot a fait son apparition dans un dictionnaire français, Le Robert, en 2015.

Une recherche pluridisciplinaire

Une équipe poitevine, associant des enseignants-chercheurs de diverses disciplines, histoire, droit, médecine légale, anthropologie, sociologie, psychologie, travaille depuis plusieurs années sur la thématique des violences faites aux femmes : des colloques, des journées d’études à l’université de Poitiers, où à l’Assemblée Nationale, à l’invitation, à plusieurs reprises, de la Délégation parlementaire aux droits des femmes et à l’égalité ont jalonné ces diverses initiatives, d’abord concrétisées par un premier ouvrage Le corps en lambeaux (PUR, 2016, Préface de Catherine Coutelle et postface de Michelle Perrot), puis, tout récemment par Une femme sur trois. Les violences faites aux femmes d’hier à aujourd’hui, (Éditions de l’Atlantique, 2019), prolongeant une exposition itinérante présentée à l’Espace Mendès France.

Plutôt qu’une tentative d’explication définitive, le lecteur lira au fil des pages la grande diversité des approches, sans pour autant se disperser, sur ces actes meurtriers dirigés contre les femmes parce qu’elles sont des femmes. La démographie, l’histoire de l’art, les sciences de l’information et les sciences politiques apportent d’utiles compléments.

L’épaisseur du féminicide

« Fémicide » ou « féminicide » le crime commis contre des femmes parce qu’elles sont femmes possède une histoire. Le féminicide peut-être systémique – les tueurs de femmes dans l’histoire ou les tueries perpétrées au Guatemala ou à Ciudad Juárez, au Mexique, sans oublier les femmes natives du Canada, les crimes d’honneur, les avortements sexués, les fœticides. Il est aussi intime et correspond aux crimes conjugaux commis par des maris, des ex-époux, des conjoints ou compagnons ou ex-compagnons. Le mot féminicide lui-même n’a rien d’idéologique, il relève du constat établi par exemple dès 2012 par l’ONU femmes qui l’adopte. Aujourd’hui des juristes s’interrogent pour savoir s’il faut introduire le mot dans le Code pénal, à la manière de nombreux pays d’Amérique Latine, mais chacun reconnaît qu’il est nécessaire de reconnaître la réalité des féminicides.

En somme, cet ouvrage nous apprend comment le terme féminicide a été et est un formidable accélérateur pour saisir l’actualité des crimes commis contre les femmes. Observateurs sociaux, journalistes, pouvoirs publics ont été obligés de sortir du silence et de composer avec lui et de donner une réponse, plus ou moins forte en fonction des espaces nationaux. On tue une femme est aussi une invitation à poursuivre les travaux et à œuvrer pour lutter contre les violences faites aux femmes, devenues un enjeu majeur de société.

La comptabilité macabre, dont les chiffres ne varient guère en France d’une année à l’autre, livre des informations précises et incontestables : « 123 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire intime « officiel » (conjoint, concubin, pacsé ou « ex ») ou non officiel (petits amis, amants, relations épisodiques…) ; 34 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-, dont trois au sein de couples homosexuels ; 25 enfants mineurs sont décédés, tués par un de leurs parents dans un contexte de violences au sein du couple ». Le féminicide à notre porte est un crime de propriétaire.