Chronique littéraire: AVEC LE TEMPS Se reconstruire après la violence conjugale

Les histoires de résilience présentées dans cet ouvrage ont été réalisées suite à une violence conjugale, dans le cadre d’un travail spécifique de promotion de la résilience.

Ce dernier vise notamment le travail des pensées et des émotions ainsi que la réalisation d’histoires de résilience, suivant certaines consignes d’écriture.

Il s’agit de devenir auteure de son vécu de violence conjugale en passant du récit de soi au récit de fiction puis en allant vers des histoires de résilience.

 

Focus: Violence économique

Une forme particulière de violence conjugale.

Souvent première manifestation de la violence conjugale, la violence économique dans le couple est pourtant mal identifiée. La protection des victimes passe ainsi par un certain nombre de dispositions juridiques. Elle implique aussi la formation et la sensibilisation des différents acteurs concernés (banquiers, notaires, employeurs…).

Selon les appels au 3919, numéro national de référence pour les femmes victimes de violences, 20% de femmes appelantes dénoncent la violence économique au sein de leur couple. Cette violence, peu documentée, a été le thème retenu par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour son colloque à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 25 novembre 2020.

Les Actes de ce colloque consacré à la lutte contre les violences économiques au sein du couple rendent compte de situations insidieuses qui sont souvent les premières manifestations de la violence conjugale.

Un contrôle financier dans le couple

La violence économique se traduit par le contrôle financier au quotidien qui peut aller jusqu’à la dépossession totale des moyens d’autonomie de la femme. Cela peut conduire à l’interdiction faite à cette dernière de travailler et au surendettement.

Ce contrôle économique du conjoint passe par :

  • la mainmise administrative du conjoint (gestion exclusive par l’homme du compte joint par exemple) ;
  • le contrôle total des ressources du couple et de leur utilisation ;
  • la privation de ressources plaçant la femme en situation de demande même pour les achats quotidiens de la famille ;
  • la mise en danger du patrimoine familial et personnel de la femme (signature d’hypothèques, de crédits à la consommation…) ;
  • et, dans le cas de séparation ou de divorce, le refus de versement de la pension alimentaire, la dissimulation du patrimoine du conjoint.

Lutter contre les violences économiques

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dite Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014, intègre la violence économique dans la définition des violences conjugales. Cependant, cette notion reste encore absente en tant que telle en droit interne français.

De multiples dispositions doivent être mises en place. Elles touchent le droit, mais aussi la sensibilisation, la formation des personnes directement et indirectement concernées avec :

  • la définition et la codification de la violence économique dans le droit français pour aboutir à leur pénalisation, sur le modèle du harcèlement moral ;
  • des mesures de soutien, en cas de séparation, pour assurer une meilleure autonomie financière à la victime (réforme du service de versement des pensions alimentaires) ;
  • la systématisation d’une information et d’une éducation financière, particulièrement sur les régimes matrimoniaux ;
  • la sensibilisation des banquiers et des notaires mieux formés et alertés sur ce sujet ;
  • l’ouverture d’un compte bancaire individuel séparé pour la femme sur lequel son salaire devrait être versé ;
  • le rôle des employeurs en ce qui concerne la prévention, l’accompagnement et les aménagements spécifiques (mobilité, congés…) envers les victimes.

 

 

Témoignage: « Il m’empêchait de travailler, usurpait mon identité pour contracter des prêts » : Myriam raconte l’enfer des violences économiques

Selon un sondage réalisé récemment par l’IFOP pour la newsletter féministe « Les Glorieuses », 41% des femmes connaîtront dans leur vie une forme de violence économique conjugale.

Lui dire quoi penser, comment s’habiller… L’emprise a commencé petit à petit. Myriam ne s’en rend pas compte car elle est éperdument amoureuse de son mari qui l’isole progressivement de son entourage et l’empêche de travailler, elle qui a fait de brillantes études de commerce. Puis arrive les coups sur elle, sur les enfants, des violences physiques, psychologiques mais aussi économiques. Une réalité plus insidieuse, mais très répandue : dans un sondage publié le 6 novembre par l’IFOP pour « Les Glorieuses », quatre sur dix disent avoir connu dans leur vie une forme de violence économique conjugale.

« Il m’interdisait de travailler à l’époque, explique Myriam. J’avais comme simple revenu le chômage puisque j’avais travaillé avant le mariage, et il se servait de ce salaire en premier pour ne plus rien me laisser. Et ensuite il se servait de son salaire et cachait toujours une partie de son revenu, ce que je n’ai appris que bien plus tard. Il usurpait également mon identité pour contracter des prêts ». À bout, elle demande le divorce après 13 ans de mariage. Mais même séparés, son ex-mari fait tout pour l’assécher économiquement.

« Il m’a promis qu’il allait tout me prendre »

« Il m’a promis qu’il allait tout me prendre, raconte-t-elle. Il m’a tout simplement volé mon véhicule. Il ne souhaite plus payer du tout la pension alimentaire. »

« Son seul but, c’est de me nuire, de faire en sorte que je ne puisse plus m’en sortir. Et ça marche. Je me retrouve à nourrir mes enfants avec les Restos du cœur ».

Myriam, victime de violences économiques conjugales

Myriam n’a aucun répit puisque son ex-mari fait appel de toutes ses condamnations, et fait aussi de fausses dénonciations. Cela bloque des versements dont bénéficie la mère de famille et la prive de ressources. Quant à retrouver un travail, Myriam aimerait beaucoup, mais a pour l’instant trop peur de sortir. « Je vis encore la peur au ventre rien que de sortir. Aujourd’hui, je suis malade. J’ai des caillots de sang dans la tête qui se sont créés à cause de toute cette angoisse, témoigne-t-elle. On a l’impression qu’il nous a rendu moins que rien, et on continue à être moins que rien. »

La justice peine à se saisir de ces violences

Ces violences économiques ne sont pas nommées par la justice, mais en faire une nouvelle infraction ne serait pas efficace selon Maître Michelle Dayan, présidente de l’association Lawyers For Women, une association de juristes qui luttent contre les violences faites aux femmes. Pour l’avocate, il faudrait déjà appliquer de façon efficace ce qui existe déjà. « On a aujourd’hui l’intermédiation familiale qui permet, quand un homme ne paie pas la pension alimentaire, que la CAF le fasse pour lui et aille ensuite le chercher. C’est encore une façon de déresponsabiliser. Il y en a marre en fait. C’est une violence économique de ne pas payer, c’est une délinquance ».

En 2014, la France a ratifié la convention d’Istanbul qui reconnaît l’existence de ces violences économiques mais refuse toujours de créer un texte spécifique.

Violences conjugales: déménager pour sauver sa peau

J’étais incapable de faire quoi que ce soit » : longtemps grande oubliée de la lutte contre les violences faites aux femmes, l’étape du déménagement, cruciale dans le processus de reconstruction, est désormais au coeur de toutes les attentions.

Quand elle quitte son conjoint violent en 2019, Zoulika part avec sa fille de 8 mois dans les bras, laissant tout derrière elle. « Je me suis dit +si je ne pars pas tout de suite, je vais mourir ici+ », se souvient la jeune femme de 29 ans.

Logée temporairement à l’hôtel via le 115, elle finit par retrouver un logement pérenne et revient à son ancien domicile pour récupérer ses affaires – des meubles, les jouets de sa fille, des vêtements  – avec l’aide de l’association Une voix pour elles.

« Je n’aurais pas pu y arriver sans eux, ils ont tout géré de A à Z », affirme-t-elle. « Ca m’a permis de tourner la page et de me dire que je ne reviendrais pas en arrière ».

Basée dans les Alpes-Maritimes, Une voix pour elles a posé en 2021 les jalons de ce qui est devenu à l’automne 2023 un réseau national d’entraide qui permet aux femmes victimes de violences conjugales de bénéficier gratuitement d’un déménagement et d’un entreposage de leurs affaires personnelles.

« Cet aspect a longtemps été une zone blanche, qui n’était prise en charge ni par l’Etat ni par les associations, or cette étape est cruciale », explique Loëtitia Mas, la co-fondatrice de l’association, rappelant le chiffre de 6 départs infructueux avant qu’une femme victime ne réussisse à quitter définitivement son conjoint violent.

Un réseau national d’entraide permet aux femmes victimes de violences conjugales de bénéficier gratuitement d’un déménagement et d’un entreposage de leurs affaires personnelles© LOIC VENANCE

« La femme doit pouvoir se dire qu’elle va être accompagnée, il faut qu’elle puisse suffisamment se projeter pour franchir le pas et ne pas rester au domicile avec son conjoint violent pour des raisons logistiques ou économiques », ajoute-t-elle.

« Ce qu’on offre, c’est un petit coup de pouce ponctuel mais qui permet de s’extraire du foyer violent ou du foyer temporaire pour aller vers la reconstruction », abonde Maïlys Genoux, de l’association Solimove, qui opère à Paris.

– Sécuriser l’espace –

A l’heure actuelle, le réseau national d’entraide « Elles déménagent », qui est chapeauté par la Fondation des femmes, affiche à son compteur plus de 300 déménagements pour l’année 2023.

Dans ses rangs, six associations réparties sur le territoire : Une Voix Pour Elles (Alpes-Maritimes), Ça déménage (Isère), Premier Pas (Hauts-de-Seine), Solimove à Paris, l’atelier Remuménage (Nouvelle Aquitaine) et le Collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales à La Réunion (CEVIF).

A chaque fois, le même modus operandi. « Les associations sont sollicitées par les acteurs de terrain pour organiser le déménagement d’une personne qui, soit a quitté le domicile conjugal, soit se prépare à le faire », explique Laura Slimani, directrice du pôle projets de la Fondation des femmes.

« Elles évaluent la situation en terme de sécurité, de stockage, elles fixent une date. Si le conjoint est dans les parages, elles mobilisent les forces de l’ordre qui sécurisent l’espace ».

« Lors du déménagement, il y a une forme de renversement qui s’opère entre la femme et son ex-conjoint : elle montre qu’elle est autonome, qu’elle prend ses affaires et qu’elle part », souligne-t-elle. « C’est un moment où il peut y avoir de la décompensation, c’est aussi potentiellement revivre des traumas, d’où l’importance de la présence humaine ».

Après avoir vécu des années « dans la terreur » et sous les coups de son conjoint, Célia a fini par franchir cette étape. « C’était beaucoup à gérer émotionnellement parce qu’on ferme vraiment la porte », déclare la jeune femme de 36 ans. « En fermant la porte, on laisse derrière la souffrance mais on a appris à vivre avec cette souffrance ».

« Pendant que les membres de l’association étaient en train de déplacer mes cartons, moi j’étais en pleurs, c’était quelque chose de très dur », se souvient-elle. « Elles me disaient +c’est une nouvelle étape+, mais je n’en avais pas encore conscience. Je commence à peine à la réaliser maintenant et je sais que le chemin est encore long ».