Chronique littéraire: AVEC LE TEMPS Se reconstruire après la violence conjugale

Les histoires de résilience présentées dans cet ouvrage ont été réalisées suite à une violence conjugale, dans le cadre d’un travail spécifique de promotion de la résilience.

Ce dernier vise notamment le travail des pensées et des émotions ainsi que la réalisation d’histoires de résilience, suivant certaines consignes d’écriture.

Il s’agit de devenir auteure de son vécu de violence conjugale en passant du récit de soi au récit de fiction puis en allant vers des histoires de résilience.

 

Focus: Violence économique

Une forme particulière de violence conjugale.

Souvent première manifestation de la violence conjugale, la violence économique dans le couple est pourtant mal identifiée. La protection des victimes passe ainsi par un certain nombre de dispositions juridiques. Elle implique aussi la formation et la sensibilisation des différents acteurs concernés (banquiers, notaires, employeurs…).

Selon les appels au 3919, numéro national de référence pour les femmes victimes de violences, 20% de femmes appelantes dénoncent la violence économique au sein de leur couple. Cette violence, peu documentée, a été le thème retenu par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour son colloque à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 25 novembre 2020.

Les Actes de ce colloque consacré à la lutte contre les violences économiques au sein du couple rendent compte de situations insidieuses qui sont souvent les premières manifestations de la violence conjugale.

Un contrôle financier dans le couple

La violence économique se traduit par le contrôle financier au quotidien qui peut aller jusqu’à la dépossession totale des moyens d’autonomie de la femme. Cela peut conduire à l’interdiction faite à cette dernière de travailler et au surendettement.

Ce contrôle économique du conjoint passe par :

  • la mainmise administrative du conjoint (gestion exclusive par l’homme du compte joint par exemple) ;
  • le contrôle total des ressources du couple et de leur utilisation ;
  • la privation de ressources plaçant la femme en situation de demande même pour les achats quotidiens de la famille ;
  • la mise en danger du patrimoine familial et personnel de la femme (signature d’hypothèques, de crédits à la consommation…) ;
  • et, dans le cas de séparation ou de divorce, le refus de versement de la pension alimentaire, la dissimulation du patrimoine du conjoint.

Lutter contre les violences économiques

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dite Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014, intègre la violence économique dans la définition des violences conjugales. Cependant, cette notion reste encore absente en tant que telle en droit interne français.

De multiples dispositions doivent être mises en place. Elles touchent le droit, mais aussi la sensibilisation, la formation des personnes directement et indirectement concernées avec :

  • la définition et la codification de la violence économique dans le droit français pour aboutir à leur pénalisation, sur le modèle du harcèlement moral ;
  • des mesures de soutien, en cas de séparation, pour assurer une meilleure autonomie financière à la victime (réforme du service de versement des pensions alimentaires) ;
  • la systématisation d’une information et d’une éducation financière, particulièrement sur les régimes matrimoniaux ;
  • la sensibilisation des banquiers et des notaires mieux formés et alertés sur ce sujet ;
  • l’ouverture d’un compte bancaire individuel séparé pour la femme sur lequel son salaire devrait être versé ;
  • le rôle des employeurs en ce qui concerne la prévention, l’accompagnement et les aménagements spécifiques (mobilité, congés…) envers les victimes.

 

 

Témoignage: « Il m’empêchait de travailler, usurpait mon identité pour contracter des prêts » : Myriam raconte l’enfer des violences économiques

Selon un sondage réalisé récemment par l’IFOP pour la newsletter féministe « Les Glorieuses », 41% des femmes connaîtront dans leur vie une forme de violence économique conjugale.

Lui dire quoi penser, comment s’habiller… L’emprise a commencé petit à petit. Myriam ne s’en rend pas compte car elle est éperdument amoureuse de son mari qui l’isole progressivement de son entourage et l’empêche de travailler, elle qui a fait de brillantes études de commerce. Puis arrive les coups sur elle, sur les enfants, des violences physiques, psychologiques mais aussi économiques. Une réalité plus insidieuse, mais très répandue : dans un sondage publié le 6 novembre par l’IFOP pour « Les Glorieuses », quatre sur dix disent avoir connu dans leur vie une forme de violence économique conjugale.

« Il m’interdisait de travailler à l’époque, explique Myriam. J’avais comme simple revenu le chômage puisque j’avais travaillé avant le mariage, et il se servait de ce salaire en premier pour ne plus rien me laisser. Et ensuite il se servait de son salaire et cachait toujours une partie de son revenu, ce que je n’ai appris que bien plus tard. Il usurpait également mon identité pour contracter des prêts ». À bout, elle demande le divorce après 13 ans de mariage. Mais même séparés, son ex-mari fait tout pour l’assécher économiquement.

« Il m’a promis qu’il allait tout me prendre »

« Il m’a promis qu’il allait tout me prendre, raconte-t-elle. Il m’a tout simplement volé mon véhicule. Il ne souhaite plus payer du tout la pension alimentaire. »

« Son seul but, c’est de me nuire, de faire en sorte que je ne puisse plus m’en sortir. Et ça marche. Je me retrouve à nourrir mes enfants avec les Restos du cœur ».

Myriam, victime de violences économiques conjugales

Myriam n’a aucun répit puisque son ex-mari fait appel de toutes ses condamnations, et fait aussi de fausses dénonciations. Cela bloque des versements dont bénéficie la mère de famille et la prive de ressources. Quant à retrouver un travail, Myriam aimerait beaucoup, mais a pour l’instant trop peur de sortir. « Je vis encore la peur au ventre rien que de sortir. Aujourd’hui, je suis malade. J’ai des caillots de sang dans la tête qui se sont créés à cause de toute cette angoisse, témoigne-t-elle. On a l’impression qu’il nous a rendu moins que rien, et on continue à être moins que rien. »

La justice peine à se saisir de ces violences

Ces violences économiques ne sont pas nommées par la justice, mais en faire une nouvelle infraction ne serait pas efficace selon Maître Michelle Dayan, présidente de l’association Lawyers For Women, une association de juristes qui luttent contre les violences faites aux femmes. Pour l’avocate, il faudrait déjà appliquer de façon efficace ce qui existe déjà. « On a aujourd’hui l’intermédiation familiale qui permet, quand un homme ne paie pas la pension alimentaire, que la CAF le fasse pour lui et aille ensuite le chercher. C’est encore une façon de déresponsabiliser. Il y en a marre en fait. C’est une violence économique de ne pas payer, c’est une délinquance ».

En 2014, la France a ratifié la convention d’Istanbul qui reconnaît l’existence de ces violences économiques mais refuse toujours de créer un texte spécifique.

Violences conjugales: déménager pour sauver sa peau

J’étais incapable de faire quoi que ce soit » : longtemps grande oubliée de la lutte contre les violences faites aux femmes, l’étape du déménagement, cruciale dans le processus de reconstruction, est désormais au coeur de toutes les attentions.

Quand elle quitte son conjoint violent en 2019, Zoulika part avec sa fille de 8 mois dans les bras, laissant tout derrière elle. « Je me suis dit +si je ne pars pas tout de suite, je vais mourir ici+ », se souvient la jeune femme de 29 ans.

Logée temporairement à l’hôtel via le 115, elle finit par retrouver un logement pérenne et revient à son ancien domicile pour récupérer ses affaires – des meubles, les jouets de sa fille, des vêtements  – avec l’aide de l’association Une voix pour elles.

« Je n’aurais pas pu y arriver sans eux, ils ont tout géré de A à Z », affirme-t-elle. « Ca m’a permis de tourner la page et de me dire que je ne reviendrais pas en arrière ».

Basée dans les Alpes-Maritimes, Une voix pour elles a posé en 2021 les jalons de ce qui est devenu à l’automne 2023 un réseau national d’entraide qui permet aux femmes victimes de violences conjugales de bénéficier gratuitement d’un déménagement et d’un entreposage de leurs affaires personnelles.

« Cet aspect a longtemps été une zone blanche, qui n’était prise en charge ni par l’Etat ni par les associations, or cette étape est cruciale », explique Loëtitia Mas, la co-fondatrice de l’association, rappelant le chiffre de 6 départs infructueux avant qu’une femme victime ne réussisse à quitter définitivement son conjoint violent.

Un réseau national d’entraide permet aux femmes victimes de violences conjugales de bénéficier gratuitement d’un déménagement et d’un entreposage de leurs affaires personnelles© LOIC VENANCE

« La femme doit pouvoir se dire qu’elle va être accompagnée, il faut qu’elle puisse suffisamment se projeter pour franchir le pas et ne pas rester au domicile avec son conjoint violent pour des raisons logistiques ou économiques », ajoute-t-elle.

« Ce qu’on offre, c’est un petit coup de pouce ponctuel mais qui permet de s’extraire du foyer violent ou du foyer temporaire pour aller vers la reconstruction », abonde Maïlys Genoux, de l’association Solimove, qui opère à Paris.

– Sécuriser l’espace –

A l’heure actuelle, le réseau national d’entraide « Elles déménagent », qui est chapeauté par la Fondation des femmes, affiche à son compteur plus de 300 déménagements pour l’année 2023.

Dans ses rangs, six associations réparties sur le territoire : Une Voix Pour Elles (Alpes-Maritimes), Ça déménage (Isère), Premier Pas (Hauts-de-Seine), Solimove à Paris, l’atelier Remuménage (Nouvelle Aquitaine) et le Collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales à La Réunion (CEVIF).

A chaque fois, le même modus operandi. « Les associations sont sollicitées par les acteurs de terrain pour organiser le déménagement d’une personne qui, soit a quitté le domicile conjugal, soit se prépare à le faire », explique Laura Slimani, directrice du pôle projets de la Fondation des femmes.

« Elles évaluent la situation en terme de sécurité, de stockage, elles fixent une date. Si le conjoint est dans les parages, elles mobilisent les forces de l’ordre qui sécurisent l’espace ».

« Lors du déménagement, il y a une forme de renversement qui s’opère entre la femme et son ex-conjoint : elle montre qu’elle est autonome, qu’elle prend ses affaires et qu’elle part », souligne-t-elle. « C’est un moment où il peut y avoir de la décompensation, c’est aussi potentiellement revivre des traumas, d’où l’importance de la présence humaine ».

Après avoir vécu des années « dans la terreur » et sous les coups de son conjoint, Célia a fini par franchir cette étape. « C’était beaucoup à gérer émotionnellement parce qu’on ferme vraiment la porte », déclare la jeune femme de 36 ans. « En fermant la porte, on laisse derrière la souffrance mais on a appris à vivre avec cette souffrance ».

« Pendant que les membres de l’association étaient en train de déplacer mes cartons, moi j’étais en pleurs, c’était quelque chose de très dur », se souvient-elle. « Elles me disaient +c’est une nouvelle étape+, mais je n’en avais pas encore conscience. Je commence à peine à la réaliser maintenant et je sais que le chemin est encore long ».

Chronique littéraire: « La femme que nous sommes », premier roman édifiant d’Emma Deruschi sur les violences conjugales

Publié le 5 mai aux éditions Flammarion, le premier roman d’Emma Deruschi raconte méthodiquement l’histoire d’Elisa, une jeune femme maltraitée par son mari, qui tente de sortir de la prison dans laquelle la violence de son mari, conjuguée à son propre silence, l’a enfermée. Emma Deruschi décortique avec réalisme les mécanismes de la violence conjugale, dans un roman traversé de bout en bout par une tension extrême.

L’histoire : Elisa est une jeune kiné mariée et mère d’une petite fille de trois ans, Lucie. Sur le papier elle a tout pour être heureuse, et c’est d’ailleurs l’image qu’elle s’efforce de renvoyer à son entourage, à sa famille, à sa bande de copines. Derrière la façade, c’est une toute autre histoire. Elisa se débat avec son mari Loïc, de plus en plus violent. Elle encaisse les humiliations et les coups, tout en déployant son énergie à dissimuler à son entourage, sa mère, sa sœur, ses amies, ce qu’elle endure depuis des années. Les mots de plus en plus durs de son mari, ses coups de plus en plus violents et la crainte pour sa fille poussent Elisa à prendre une décision. Pendant des semaines, elle a organisé dans le plus grand secret son départ. La veille du jour J, elle règle les derniers détails, rédige une lettre à son ami et associé de travail Marc et surtout, fait bien attention de ne pas éveiller les soupçons de son mari. Tout est prêt, quelques heures seulement maintenant la séparent d’une nouvelle vie avec sa fille, à l’abri de la brutalité de son mari…

Ce premier roman dissèque les mécanismes d’une violence perpétrée dans l’intimité du foyer, à l’abri des regards extérieurs. Le récit est concentré sur cette dernière journée, pendant laquelle la jeune femme se refait le film de sa vie. La romancière déroule les différentes étapes du processus qui petit à petit a grignoté Elisa, avec la montée en puissance de la brutalité, la surveillance de plus en plus oppressante du mari, les humiliations, jusqu’à la réduire au silence, à l’immobilité, le moindre de ses mouvements, quel qu’il soit, provoquant l’ire de son mari.

Couverture du roman "La femme que nous sommes", d'Emma Deruschi, mai 2021 (FLAMMARION)

 

[Focus] Décryptage et analyse de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales

Mots-clés : violences conjugales • harcèlement • suicide forcé • violation du secret médical • atteinte à l’intimité de la vie privée • mandat criminel • peines alternatives à l’emprisonnement.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales (N° Lexbase : L7970LXH), comporte de nombreuses dispositions pénales. Les dispositions applicables aux infractions commises dans la sphère conjugale proposent des nouveautés – notamment l’incrimination du suicide forcé ou la levée du secret médical – finalement assez limitées dans leurs effets. Il en va en revanche différemment de certaines dispositions qui dépassent le cadre du couple – telle que la répression de la géolocalisation non consentie ou encore la conversion de peines alternatives en peines complémentaires à l’emprisonnement.20

173 personnes – 145 femmes et 27 hommes – ont été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon en 2019. 24 décès supplémentaires en 2018, soit une augmentation de 21 % en un an [1]. Cette « hausse effroyable » [2] fait froid dans le dos. La France se classe d’ailleurs parmi les États dans lesquels ce type de violences, au sein du couple, reste important [3]. Il est malheureusement à craindre que les chiffres ne baissent pas cette année, puisqu’on sait déjà que les violences conjugales ont augmenté pendant le confinement [4]. On comprend donc bien que la lutte contre les violences conjugales ait fait déjà l’objet de nombreuses lois [5], et soit revenue au cœur des débats au cours de l’année 2019, prenant une ampleur inédite au sein l’opinion publique.

Plus précisément, le Gouvernement a fait de la lutte contre les violences conjugales une « grande cause du quinquennat » et a organisé, de septembre à novembre 2019, le Grenelle des violences conjugales. Il a immédiatement reçu de très – trop ? – nombreuses tentatives de traductions juridiques : on pense à la volonté d’insérer le terme « féminicide » dans notre Code pénal, qui n’a finalement pas été retenue [6], à la circulaire de la garde des Sceaux adressée au parquet le 9 mai 2019 [7], au Livre Blanc déposé à l’Assemblée Nationale le 6 novembre 2019 [8], puis au dépôt de projets ou propositions de lois concurrents sur le sujet [9]. De cette multitude de volontés désordonnées, trahissant l’empressement à traiter un sujet au cœur du débat public et médiatique, est né un arsenal législatif composé de deux lois.

La première est la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille adoptée le 28 décembre 2019 [10]. Au plan civil, elle a renforcé l’ordonnance de protection et restreint la médiation familiale en cas de violences commises au sein de la famille. Au plan pénal, elle entendait notamment rendre effectif le bracelet anti-rapprochement et généraliser l’utilisation du Téléphone Grave Danger. On peine à savoir pour l’instant quelle sera l’efficacité des mesures adoptées. Un décret d’application de la loi du 27 mai 2020 [11] a déclenché la colère des praticiens [12], à tel point qu’il a fallu revoir les modalités de saisine du juge aux affaires familiales un mois plus tard [13], et le bracelet anti-rapprochement n’est toujours pas opérationnel [14].

La seconde loi est celle du 30 juillet 2020, objet de notre étude. On peut déjà s’interroger sur la pertinence d’une législation dispersée, élaborée en deux temps, alors qu’un texte unique, concentrant l’ensemble des dispositions, aurait sans doute été plus adapté. Mais ce second texte visait à reprendre certaines réflexions menées pendant le Grenelle des violences conjugales, qui n’avaient pas été traduites par la première loi [15].

Sur la forme, la procédure législative accélérée a été mise en œuvre. Mais les contraintes liées à l’épidémie de covid-19 ayant momentanément empêché l’adoption du texte, c’est finalement au cœur de l’été, juste avant les vacances parlementaires, que la loi a été votée.

Sur le fond, y avait-il encore à faire ? Y avait-il des mesures oubliées ? On serait tenté de croire que non à la lecture des deux premiers articles de la proposition de loi. Ils prévoyaient en effet le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation pour violences au sein de la famille, et ont finalement été supprimés, car une disposition similaire avait déjà été adoptée dans la loi du 28 décembre 2019. Mais la première impression est trompeuse, tant la loi du 30 juillet est riche, sur le plan civil, et plus encore sur le plan pénal qui nous occupera ici [16].

En matière civile, on se contentera de rappeler que la loi prévoit l’attribution de la jouissance du logement conjugal au conjoint qui n’est pas l’auteur de violence [17], et renforce l’interdiction de paraître dans le cadre de l’ordonnance de protection [18]. Elle décharge aussi le débiteur du versement de l’obligation alimentaire à l’égard de l’auteur des violences, qu’elles aient été commises contre le débiteur ou contre l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs [19]. Elle retient enfin une nouvelle hypothèse d’indignité successorale facultative afin que celui qui est condamné, pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt, puisse être exclu de la succession [20].

Les dispositions pénales viennent ensuite, et leur importance surprend. Le titre de la loi la dédie toute entière à « la protection des victimes de violences conjugales ». Or, à la lecture du texte, le périmètre défini par le titre n’est pas respecté. Les violences ne sont pas les seules infractions concernées, et de surcroît, le cadre de la vie conjugale est largement dépassé. L’article 132-80 du Code pénal (N° Lexbase : L6235LLI) retient certes une vision large de la sphère conjugale, visant le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas ou lorsque la relation a pris fin. Mais la loi du 30 juillet va plus loin. Si certaines de ses dispositions concernent exclusivement le couple, d’autres ont une vocation beaucoup plus large. Plus encore, les dispositions spécifiques aux violences conjugales paraissent restreintes, y compris la mesure phare de la loi, qui permet la levée du secret médical (I). A l’inverse, les dispositions qui dépassent le cadre du couple ont une toute autre ampleur (II).

I. Des dispositions spéciales limitées

Par souci de protection des victimes d’infractions commises au sein du couple, la loi accroit la répression en multipliant les circonstances aggravantes (A), et entend aussi faciliter sa mise en œuvre, en levant des obstacles aux poursuites (B).

A. Le renforcement des circonstances aggravantes

Depuis 2010, de plus en plus d’infractions contre les personnes, issues du livre II du Code pénal, sont plus sévèrement punies lorsqu’elles sont commises au sein du couple. La peine encourue est précisément augmentée lorsque les faits sont commis par « le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité » [21]. La loi du 30 juillet s’inscrit dans cette même dynamique, en prévoyant que la même circonstance aggravante s’appliquera aux appels téléphoniques malveillants [22], à l’usurpation d’identité [23] et à l’atteinte au secret des correspondances [24]. Le législateur marque sa particulière réprobation à l’égard des « cyberviolences », ou du « cybercontrôle », au sein du couple. Ces expressions désignent l’utilisation de (nouvelles) technologies pour surveiller son partenaire. Mais c’est une autre circonstance aggravante qui retient l’attention.

La loi prévoit en effet la création d’une nouvelle circonstance aggravante pour punir ce qu’on a appelé le « suicide forcé » [25]. Plus précisément, est aggravé le harcèlement prévu par l’article 222-33-2-1 du Code pénal (N° Lexbase : L8545LXR), défini comme « le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » [26]. Selon le dernier alinéa du texte, ajouté par la loi du 30 juillet, « les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider ». On comprend la volonté de punir plus sévèrement un harcèlement si grave qu’il aurait pour conséquence de pousser la victime à mettre fin à ses jours. D’ailleurs, certaines études avancent que 13 % des suicides seraient en lien direct avec des violences conjugales [27]. Cependant, cette disposition appelle deux séries de remarques.

D’abord, cette circonstance aggravante présente une originalité en ce qu’elle tient au résultat du comportement de l’auteur. Elle ne tient pas aux circonstances entourant la commission des faits, à l’auteur ou à la victime, mais aux conséquences du harcèlement. Classiquement, le résultat est davantage intégré aux éléments constitutifs de l’infraction, de façon à dicter la qualification des faits. Il permet par exemple de distinguer infraction formelle et matérielle. La loi du 30 juillet 2020 propose une solution différente en tenant compte du résultat du comportement à titre de circonstance aggravante.

Ensuite, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le recoupement de cette circonstance aggravante avec d’autres qualifications, permettant déjà de saisir de tels faits [28]. Ce sont plus précisément la provocation au suicide et les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner qui pourraient trouver à s’appliquer.

La distinction entre le nouveau suicide forcé et la provocation au suicide se perçoit assez facilement. Les éléments matériels peuvent se recouper, mais les éléments moraux des deux infractions diffèrent. La provocation au suicide n’est en effet constituée que si l’auteur avait la volonté de pousser la victime à se suicider [29]. À l’inverse, dans le harcèlement aggravé, l’auteur des faits n’a pas l’intention de pousser la victime à mettre fin à ses jours.

La distinction entre suicide forcé et violences mortelles est bien plus délicate. L’élément matériel est identique, puisque les violences peuvent être uniquement morales [30], avoir causé un « choc émotif » à la victime [31]. L’élément moral ne diffère pas non plus, puisque dans les deux cas, l’auteur ne doit pas avoir eu la volonté de parvenir au résultat. Dès lors, il est tout à fait envisageable que le harcèlement qui a conduit le conjoint à mettre fin à ses jours soit constitutif de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner [32]. À la lecture des travaux parlementaires, c’est la difficulté de prouver le lien de causalité entre les actes de violence et la mort de la victime qui a conduit à écarter les violences mortelles [33]. Il faudrait en effet montrer que les violences morales sont bien la cause du décès de la victime, et que ce lien de causalité n’a pas été rompu par l’acte de suicide de la victime elle-même. Cependant, toute causalité n’est pas absente dans le harcèlement aggravé que le législateur a retenu. Il faudra ici prouver de la même façon la causalité entre les comportements harcelants et le suicide [34]. Ce n’est pas parce que l’on opte pour une circonstance aggravante que la nécessité de prouver le lien de causalité disparaît. Le champ d’application de cette nouvelle incrimination pourrait donc bien être très restreint. En outre, on notera que la peine encourue est moindre pour le suicide forcé, 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, que pour les violences mortelles commises au sein du couple, lesquelles sont un crime puni de 20 ans de réclusion criminelle.

La création de cette nouvelle circonstance aggravante ne s’imposait donc pas. Le rapport du Sénat invoque d’ailleurs au soutien de cette disposition la fonction « expressive » ou « socio-pédagogique » du droit pénal [35], montrant combien son impact pourrait être limité. Il en va de même de certains obstacles aux poursuites qui ont été levés.

B. La levée des obstacles aux poursuites

Le législateur a cherché à faciliter les poursuites en matière de violence conjugales.

Il s’attaque d’abord à l’obstacle probatoire. Est ainsi prévu que l’officier de police judiciaire informe la victime de violences conjugales de son droit de se voir communiquer le certificat de l’examen médical requis pas le procureur ou l’officier de police judiciaire [36]. Il s’agit ici de faciliter la preuve des violences subies. La disposition est heureuse, tant on sait que les difficultés probatoires sont grandes en cas de violences conjugales.

De la même façon, le législateur entend lever les obstacles aux poursuites lorsque des délits, on va au-delà des violences ici, sont commis au sein du couple. Il admet donc une nouvelle exception aux immunités familiales. Les immunités familiales, applicables à de nombreuses infractions d’atteintes aux biens [37], impliquent que les faits ne soient pas poursuivis lorsqu’ils ont été commis au préjudice d’un ascendant, d’un descendant, ou d’un conjoint [38]. L’objectif est de préserver l’honneur, la paix des familles et d’éviter les difficultés probatoires pour attribuer un droit de propriété au sein de la famille. Mais ces immunités familiales – dont on peine d’ailleurs à identifier la nature : fait justificatif ou obstacle aux poursuites ? – sont de moins en moins bien comprises, et de plus en plus limitées [39]. Au sein du couple plus particulièrement, le législateur a exclu du champ de ces immunités les infractions portant sur « les objets ou les documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiements » [40]. La loi du 30 juillet ajoute à cette liste les moyens de « télécommunication ». On songe immédiatement à la soustraction du téléphone portable de la victime par le conjoint, qui pourra désormais être poursuivie et sanctionnée.

Par ailleurs, la loi du 30 juillet interdit le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. L’alternative aux poursuites, bien mal adaptée en cas de violences conjugales, se ferme définitivement. Auparavant, le recours à la médiation pénale était déjà strictement limité en cas de violences conjugales, au cas où la victime en faisait la demande expresse [41]. La référence à la volonté de la victime, souvent terrifiée par son conjoint, ne semblait cependant pas pertinente. La notion « d’emprise », mise en avant dans les réflexions du Grenelle, a achevé de convaincre les parlementaires de ne pas se référer à la volonté de la victime en cas de violences au sein du couple. L’interdiction pure et simple de la médiation pénale permet aussi de mettre en conformité notre droit avec la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [42]. Il n’y a donc pas eu de véritable opposition, ni de débat, dans les discussions parlementaires. Le seul regret que l’on peut avoir est que cette mesure n’ait pas été adoptée dès la première loi de décembre 2019, laquelle avait déjà interdit le recours à la médiation familiale dans une telle hypothèse. Une circulaire l’avait d’ailleurs anticipé [43], et la loi du 30 juillet ne fait qu’entériner la pratique.

Mais la mesure phare de la loi, du moins celle qui a été le plus relayée dans les médias, est celle qui prévoit à l’article 226-14 du Code pénal (N° Lexbase : L8549LXW), la levée du secret médical en cas de violences conjugales. La levée du secret médical est présentée comme un moyen de rompre le silence qui entoure trop souvent les violences commises au sein du couple. Permettre aux professionnels de signaler ces violences serait un moyen de mieux les combattre.

Pourtant, le secret médical fait partie intégrante du serment d’Hippocrate [44] et est essentiel en ce qu’il instaure une relation de confiance entre le médecin et le patient, indispensable à l’efficacité des soins prodigués. L’intérêt de celui qui se confie est en cause, et l’intérêt général l’est également. « Ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié » [45]. Dès lors, la violation du secret médical est réprimée par l’article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG). La Cour de cassation a même affirmé que « l’obligation du secret professionnel s’impose aux médecins comme un devoir de leur état. Elle est générale et absolue et il n’appartient à personne de les en affranchir » [46]. Pourtant, le terme « absolu » n’est pas exact. Le secret médical connaît des limites qu’il ne faut pas négliger. Depuis longtemps, il est des cas dans lesquels le médecin a l’obligation de révéler certaines informations couvertes par le secret [47], et d’autres cas dans lesquels on l’autorise à le faire [48]. Cependant, dans les deux hypothèses, la loi pénale, marquée par une redoutable complexité [49], semble faire le choix de ne pas condamner le médecin, ni s’il se tait, ni s’il garde le silence ; c’est ce que l’on nomme « l’option de conscience » [50]. « Les professionnels peuvent choisir de se taire ou de parler, le législateur s’en remettant à leur seule conscience » [51].

La modification de l’article 226-14 du Code pénal s’inscrit dans cette même logique : la loi du 30 juillet autorise, et n’oblige pas, le professionnel de santé – on va au-delà du médecin à strictement parler [52] – à lever le secret professionnel en cas de violences conjugales. Il faut en outre qu’un ensemble de conditions cumulatives, assez exigeantes, soit réuni. D’abord, les violences doivent être commises au sein du couple, et tomber sous le coup de la circonstance aggravante prévue par l’article 132-80 du Code pénal (N° Lexbase : L6235LLI). Ensuite, les violences doivent mettre la vie de la victime en danger immédiat. Un danger passé, futur, ou à plus forte raison hypothétique, ne peut suffire à autoriser la levée du secret. Le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est prononcé en ce sens lors de sa session plénière du 13 décembre 2019, réservant la levée du secret médical aux cas d’urgence vitale immédiate [53]. Par ailleurs, la victime ne doit pas être en mesure de se protéger en raison d’une contrainte morale. Cette condition est plus complexe à appréhender. La notion de « contrainte morale », présente en matière d’infractions sexuelles, soulève des questions. On la définit traditionnellement comme une pression morale ou psychologique exercée sur la victime, mais le Code pénal ne donne des éléments de précision que lorsqu’un mineur est concerné [54]. Il faut de surcroît que « la contrainte morale résulte de l’emprise exercée par l’auteur des violences ». Or la notion d’emprise est une seconde notion floue, qui n’est cette fois pas du tout définie par le Code pénal. Enfin, le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime, et ce n’est qu’en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord (ce qui pourrait devoir être prouvé) qu’il peut prévenir le procureur, et à condition d’en avertir la victime.

A priori, toutes ces conditions évitent une atteinte trop importante au secret médical, et le point d’équilibre recherché serait ainsi trouvé. Cependant, cette disposition suscite deux types de critiques.

D’une part, cette disposition était-elle nécessaire ? Le médecin ne pouvait-il pas déjà lever le secret médical dans cette situation ? En effet, l’article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP) prévoit que n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte autorisé ou prescrit par la loi. Or l’article 223-6 du Code pénal (N° Lexbase : L6224LL4) sanctionne l’omission de porter secours et celle d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle. Autrement dit, cet article impose de porter secours à autrui, et excuse la violation du secret professionnel qui serait commise pour y parvenir [55]. Ce fait justificatif tiré de l’ordre de la loi peut fort bien s’appliquer en cas de violences conjugales. L’omission de porter secours punit précisément celui qui s’abstient d’aider une personne face à un péril grave, imminent et certain, ce qui correspond en tout point aux violences conjugales évoquées par le nouvel alinéa de l’article 226-14 du Code pénal. Dans cette hypothèse, « si le seul moyen efficace de protection consiste à transgresser le secret professionnel, l’obligation de porter secours prime » [56]. La modification apportée à l’article 226-14 du Code pénal relève donc davantage du symbole, et de la volonté de rassurer les professionnels de santé qui hésiteraient à dénoncer de tels faits, que de la nouveauté. Mais en ce cas, pourquoi ne pas mieux communiquer sur le droit existant, plutôt que d’ajouter une disposition sans réelle portée dans une matière déjà très complexe ?

D’autant qu’il ne faudrait pas que cette disposition ait un effet contre-productif [57]. Davantage conscientes du risque de signalement des violences dont elles sont l’objet, les victimes pourraient hésiter à se confier à leur médecin, voire à se soigner. De surcroît, la loi place sur un même plan les mineurs, les majeurs incapables et les victimes de violences conjugales, ce qui peut entraîner quelques réserves [58]. Enfin, en pratique, si la victime a refusé de donner son accord, la procédure risque de ne pas aller bien loin, mais d’avoir pour effet pervers d’alerter le conjoint.

On peut être déçu de ces dispositions, visant les faits commis au sein du couple, qui, sous couvert de nouveauté, ne modifient que très peu le droit existant. Il en va différemment des dispositions qui dépassent largement le cadre de la sphère conjugale, et qui modifient davantage notre droit pénal.

II. Des innovations de portée générale

Parmi les nombreuses dispositions de la loi ayant une portée plus générale, on retrouve une sévérité accrue en droit pénal de fond (A), et l’assouplissement de contraintes procédurales (B).

A. En droit pénal de fond

La loi prévoit la création de nouvelles incriminations aux articles 222-6-4 (N° Lexbase : L8541LXM), 222-26-1 (N° Lexbase : L8543LXP) et 222-30-2 (N° Lexbase : L8544LXQ) du Code pénal, construites sur le modèle du « mandat criminel ». L’article 222-26-1 dispose ainsi que « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un viol, y compris hors du territoire national, est puni, lorsque ce crime n’a été ni commis, ni tenté, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende ». La même incrimination est reproduite pour les tortures et actes de barbarie et les agressions sexuelles. Le mandat criminel permet d’éviter l’impunité de celui qui commandite l’accomplissement d’un crime ou d’un délit, sans que le mandataire passe à l’action. Dans de telles hypothèses en effet ni la tentative (faute de commencement d’exécution), ni la complicité (faute de fait principal punissable) ne peuvent être retenue. On entend ici saisir l’auteur intellectuel des faits. Il ne faut toutefois pas oublier que l’on remonte considérablement sur l’iter criminis. Le mandat criminel était jusqu’à présent réservé à l’assassinat et à l’empoisonnement [59], des crimes particulièrement graves, portant atteinte à la vie. On conçoit son extension au viol et plus encore aux tortures et actes de barbarie, qui sont des infractions présentant un degré de gravité élevé. En revanche, étendre le mandat criminel à un délit, l’agression sexuelle, dont le degré de gravité est moindre au regard de la classification tripartie des infractions – et pourquoi seulement ce délit-là ? – est plus discutable. Il est d’ailleurs probable que ces textes trouvent peu d’occasions de s’appliquer.

Sans créer une nouvelle incrimination, le législateur a par ailleurs souhaité étendre le champ d’application d’une infraction déjà existante : l’atteinte à l’intimité de la vie privée. L’atteinte à l’intimité de la vie privée est désormais constituée lorsque a été captée, enregistrée ou transmise, « par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci » [60]. Il s’agit de combattre l’espionnage, la surveillance, qui peut être mise en place par l’un des membres du couple au préjudice de l’autre. Mais l’infraction peut s’appliquer au-delà – imaginons par exemple un employeur souhaitant géolocaliser son employé. Cette disposition, qui permet de lutter contre de nouvelles formes d’atteinte à la vie privée, ne devrait pas rester lettre morte.

La loi du 30 juillet étend aussi le champ d’une infraction protégeant les mineurs : le fait de mettre à leur disposition des messages à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger [61]. Le texte précise dorénavant que le simple fait que le mineur ayant consulté le message ait certifié avoir plus de 18 ans sera insuffisant pour faire échec à la répression. Il renforce également les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour faire cesser l’infraction [62].

La seule disposition qui s’intéresse au sort de l’auteur des faits est relative aux peines qui peuvent être prononcées à son égard. Là encore, la loi du 30 juillet va bien au-delà de ce qu’on pouvait attendre, en modifiant sensiblement l’articulation entre peines complémentaires et peines alternatives à l’emprisonnement. Désormais, l’article 131-6 du Code pénal (N° Lexbase : L8530LX9in fine prévoit que certaines peines alternatives – interdictions de détenir une arme, de paraître en certains lieux, de fréquenter certains condamnés et d’entrer en relation avec certaines personnes ; confiscation des armes ou de l’objet ayant permis la commission de l’infraction [63] – pourront dorénavant être prononcées en même temps que la peine d’emprisonnement. Autrement dit, ces peines alternatives deviennent des peines complémentaires. Et tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement, soit l’immense majorité des délits, sont concernés. Un autre choix, déjà préféré par ailleurs [64], aurait pu être fait : celui de réserver ce cumul à certaines infractions, ici celles à même de lutter contre les violences conjugales [65]. Mais cette disposition générale rompt la logique énoncée par l’article 131-9 du Code pénal (N° Lexbase : L8531LXA), qui voulait que les peines restrictives de droit ne soient pas prononcées cumulativement avec l’emprisonnement [67]. La disposition peut surprendre et le raisonnement qui la soutient encore davantage. En effet, les travaux préparatoires de la loi montrent que le législateur souhaitait que ces peines trouvent à s’appliquer dans le cas où la peine d’emprisonnement ne serait finalement pas exécutée [67]. Ce n’est donc pas un cumul de peines qui est recherché, mais bien qu’une peine vienne remplacer celle qui ne serait pas exécutée. Par conséquent, le recours à une peine complémentaire semble inadapté. Qui plus est, il ne faudrait pas contrarier le mouvement engagé vers une diminution des très courtes peines d’emprisonnement, leur effet néfaste ayant largement été dénoncé.

Plus classiquement, la loi augmente le quantum des peines encourues pour consultation de sites pédopornographiques : cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros sont désormais prévus, contre deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros auparavant [68]. Le changement n’est pas neutre. Il marque une plus forte réprobation à l’égard des faits commis, mais il permet aussi l’inscription de l’auteur des faits au sein d’un fichier judiciaire, ce qui relève de facilitations procédurales.

B. En procédure pénale

On retrouve dans la loi du 30 juillet une illustration du mouvement d’expansion du fichage en droit pénal. C’est bien pour permettre l’inscription au sein du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes, dit FIJAIS, que la peine encourue pour consultation de sites pédopornographiques a été rehaussée. En effet, l’article 706-53-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9749HES) impose un seuil de cinq ans d’emprisonnement pour que l’inscription au sein de ce fichier soit automatique, sauf décision spécialement motivée du procureur. Les personnes condamnées pour avoir consulté des sites pédopornographiques seront désormais enregistrées dans le fichier. La loi modifie par ailleurs l’article 706-53-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8555LX7), pour que l’inscription au sein du fichier soit de droit en cas de mise en examen du suspect, sauf décision du juge d’instruction. On accroit donc le champ du FIJAIS à la fois ratione materiae et ratione personae. Comme souvent, les facilités répressives permises par les fichiers l’emportent, même si leur encadrement n’est pas toujours extrêmement rigoureux ni cohérent [69].

Dans le même ordre d’idée, la loi assouplit l’article 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8552LXZ) qui prévoit les conditions dans lesquelles des armes peuvent être saisies lors d’une perquisition dans le cadre d’une enquête de flagrance. Le texte prévoit dorénavant que lorsque l’enquête porte sur des faits de violences, l’officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instructions du procureur de la République, procéder à la saisie des armes qui sont détenues par la personne suspectée ou dont celle-ci a la libre disposition, quel que soit le lieu où se trouvent ces armes. L’officier de police judiciaire peut ainsi se passer de l’autorisation du procureur, et saisir les armes indépendamment du lieu dans lequel elles se trouvent. L’innovation est moindre sur ce point, puisque l’article 56 autorisait déjà les officiers de police judicaire à procéder à une perquisition aux fins de saisie de biens « dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du code pénal ». Or cet article vise entre autres « les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement », ce qui inclut les armes.

Enfin, la loi du 30 juillet a modifié l’article 113-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8529LX8) donnant compétence à la loi pénale française pour réprimer la complicité par fourniture d’instructions [70], d’un crime commis à l’étranger. Elle supprime précisément les exigences procédurales entourant la mise en œuvre de cette compétence. Si les faits de complicité ont été commis en France, il ne sera plus nécessaire de respecter le principe de double incrimination, ni de vérifier qu’une décision définitive a été rendue par la juridiction étrangère. La seule condition tient désormais à l’infraction commise, qui doit être un crime relevant du livre II du Code pénal.

L’empressement ayant présidé à son adoption, la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales n’a pas été suffisamment réfléchie. Parmi les dispositions circonscrites à la sphère conjugale, nombreuses sont celles qui risquent d’avoir bien peu d’effet. Il est assez significatif que le rapport du Sénat constate un « certain épuisement de la créativité du législateur dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales » [71]. De fait, les nouveautés les plus importantes ont une portée générale. On peut tout de même regretter que le sort de l’auteur de violences, déjà ignoré du Grenelle [72], soit de nouveau peu abordé par la loi.


[1] Chiffres tirés de l’étude nationale relative aux morts violentes au sein du couple, rendue publique le 17 août 2020.

Sur la façon dont sont comptés les féminicides, v. Y. Bouchez et J. Bienvenu, Comment compter les féminicides ? Policiers, militants et journalistes appliquent leur propres règles, Le Monde, 16 janvier 2020 [en ligne].

[2] A.-C. Mailfert, Présidente de la Fondation des femmes, citée dans Le nombre de féminicides en augmentation en 2019, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, Le Monde, 17 août 2020.

[3] V. not. l’étude de l’Agence européenne des droits fondamentaux, Violences à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’UE, 5 mars 2014, spéc. p. 19 et s. : 22 % des femmes ayant eu des relations avec un homme indique avoir subi des violences physiques ou sexuelles. Le taux est de 26 % en France, donc au-dessus de cette moyenne européenne. L’Espagne, l’Autriche, la Croatie, la Pologne et la Slovénie présentent le taux le plus bas, soit13%, alors que le taux le plus élevé de 32 % est relevé au Danemark et en Lettonie.

[4] V. V. Avena-Robardet, Violences conjugales en période de confinement, AJ fam., juin 2020, n° 6, p. 333. On évoque une hausse de 30 % de ces violences.

[5] On recense une loi tous les 4 ans environ depuis 2006. V. loi n° 2006-399, du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (N° Lexbase : L9766HH8) ; loi n° 2010-769, du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (N° Lexbase : L7042IMR) ; loi n° 2014-873, du 4 août 2014, pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N) ; loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (N° Lexbase : L6141LLZ).

[6] V. Ph. Conte, Féminicide : le poids des mots – et des chiffres, Dr. pén., janvier 2020, rep. n° 1 ; F.-L. Coste, « Féminicide » ou le code pénal et la Tour de Babel, AJ pénal, 2020, p. 289.

[7] Circ. CRIM, 2019-11, du 9 mai 2019, relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.

[8] Livre blanc de la Délégation aux droits des femmes sur la lutte contre les violences conjugales [en ligne].

[9] V. P. Januel, Violences conjugales : les députés dans l’impasse de la loi, Dalloz actualité, 17 janvier 2020 [en ligne].

[10] Loi n° 2019-1480 visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2114LUT). Pour une analyse du texte, v. A. Darsonville, Loi du 28 décembre 2019 : une approche pluri-disciplinaire dans la lutte contre les violences et au sein de la famille, AJ pénal, janvier 2020. p. 60 et Ph. Bonfils, Le renforcement de la lutte contre les violences au sein de la famille – commentaire de la loi du 28 décembre 2019, Dr. famille, 2020, étude 10. V. également H. Matsopoulou, Femmes. – Le bracelet anti-rapprochement au service de la lutte contre les violences faites aux femmes, JCP G, 2020, doctr. 279.

[11] Décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 portant application des articles 2 et 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2138LXH).

[12] Faisant état des difficultés, v. not. J.-M. Garry et A. Boyard, Décret du 27 mai 2020 visant à agir contre les violences au sein de la famille : un recul stupéfiant des droits des victimes, Dalloz actualités, 5 juin 2020 et M. Ouchy-Doutot, L’installation du Comité national de pilotage de l’ordonnance de protection : une meilleure vigilance pour une protection plus efficace ?, Procédures, août 2020, n° 8-9, alerte 10.

[13] Décret n° 2020-841, du 3 juillet 2020, modifiant les articles 1136-3 du Code de procédure civile et R. 93 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : Z791919W).

[14] Mme Schiappa a confirmé que les premiers bracelets devraient être opérationnels à partir du mois de septembre sur France Inter, le 30 août 2020.

[15] Proposition de loi n° 2478, déposée le 3 décembre 2019 à la présidence de l’Assemblée nationale [en ligne].

[16] La loi apporte également des modifications au Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, afin de protéger les étrangers victimes de violences conjugales ou familiales.

[17] C. civ., art. 515-11, 3° et 4° (N° Lexbase : L8563LXG).

[18] C. civ., art. 515-11 et 515-11-1 (N° Lexbase : L8564LXH).

[19] C. civ., art. 207 (N° Lexbase : L8537LXH).

[20] C. civ., art. 727, 2° bis (N° Lexbase : L8565LXI).

[21] On doit y ajouter l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, est applicable en vertu de l’article 132-80 du Code pénal (N° Lexbase : L6235LLI).

[22] C. pén., art. 222-16 (N° Lexbase : L8542LXN) : « Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

[23] C. pén., art. 226-4-1 (N° Lexbase : L8548LXU) : « Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

[24] C. pén., 226-15 (N° Lexbase : L8550LXX) : « Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende ».

[25] V. V. Wester-Ouisse, De l’incrimination du suicide d’un conjoint dit suicide forcé, JCP G, 2019, p. 1351.

[26] Cette version du harcèlement est issue de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

[27] Étude publiée en 2007 par Psytel, dans le cadre du programme Daphné, financé par la Commission européenne [en ligne].

[28] Les travaux préparatoires évoquent déjà la difficulté, v. également V. Wester-Ouisse, op. cit.

[29] C. pén., art. 223-13 (N° Lexbase : L9689IEL).

Violences conjugales : une borne interactive et un van itinérant déployés en Charente-Maritime

Érigée en priorité gouvernementale, la lutte contre les violences faites aux femmes se dote en Charente-Maritime de deux nouveaux outils. Testée depuis l’été dernier lors de plusieurs compétitions sportives et dans des clubs de football du département, une borne interactive de prévention des violences (BIP) est à la disposition des communes et associations. Conçu pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, cet outil numérique permet d’informer ses utilisateurs – et notamment les plus jeunes – des comportements inacceptables et répréhensibles. Il donne aussi accès à tous les contacts nécessaires pour « libérer la parole » auprès de professionnels.

Autre outil attendu cette fois pour l’automne 2024 : un van itinérant pour mailler le territoire. Financé par l’État à hauteur de 50 000 euros, ce camion aménagé viendra compléter les dispositifs existants et permettra aussi « les repérages précoces », assure Quentin Brisset, le directeur général de Tremplin 17, l’association aux commandes du projet. « Les autres acteurs pourront en bénéficier pour leurs activités », abonde Quentin Brisset.

« Ces deux outils – la borne interactive et le van – sont un plus pour la Charente-Maritime, ils n’existaient pas auparavant. Il faut faire plus, mieux et partout », a plaidé le préfet Brice Blondel lors de leur présentation le 9 février à Jonzac.

En 2023, près de 1900 affaires traitées par les forces de l’ordre ont concerné des victimes de violences intrafamiliales (+ 14 % par rapport à 2022). Une soixantaine de téléphones grave danger et 12 bracelets anti-rapprochement ont également été activés. Le CIDFF 17, service d’aide aux victimes a reçu 2 448 personnes : 60 % d’entre elles étaient des victimes de violences conjugales.

Chronique littéraire Avril

« Notre silence nous a laissées seules » de Judith Chemla : un traité de courage.

 

« J’ai obéi à la violence.
Malgré moi.
Nous en sommes tous là.
Avant d’oser regarder le monde tel qu’il est.
Avant d’oser parler. »

En juillet 2022, Judith Chemla publie sur Instagram une photo de son visage tuméfié, assortie d’un texte dénonçant les violences et le harcèlement infligés par son ex-compagnon et père de sa fille, Yohan Manca. L’acteur et réalisateur a été condamné pour ces faits à huit mois de prison avec sursis.

Dans un livre intitulé Notre silence nous a laissées seules (Robert Laffont, 21 euros), paru jeudi 25 janvier, l’actrice et autrice démonte les ressorts de cette emprise. Elle raconte avoir déjà subi, dix ans auparavant, la violence de James Thierrée, acteur et metteur en scène de renom, et père de son premier enfant

Au fil de son récit, Judith Chemla fait le choix de ne pas nommer directement les deux hommes – baptisés « le prince » et « le loup » –, écrivant davantage pour dénoncer « une société qui encore aujourd’hui ne veut pas considérer les mécanismes implacables d’une domination brutale exercée sur les femmes et sur les enfants et, pire, y participe en refusant de nous en protéger ».

 

 

 

Violences conjugales: qu’est ce que c’est ?.

L’expression « violences conjugales » désigne l’ensemble des violences (physiques, psychologiques et économiques) commises au sein du couple par le conjoint, le ou la partenaire de Pacs ou d’union libre. Les violences conjugales sont punies par la loi et vous devez porter plainte si vous en êtes victime.

La violence conjugale peut être de la violence physique ou sexuelle, de la violence psychologique ou de la violence économique.

La violence physique se caractérise par l’emploi de gestes violents dans le but de vous blesser.

La violence sexuelle est un geste à caractère sexuel commis sans votre consentement, sous la menace ou le chantage.

Voici quelques exemples de violence physique et/ou sexuelle :

  • Être giflé
  • Recevoir des coups de poing, des coups de ceinture ou autre
  • Être tiré par les cheveux ou être poussé
  • Subir des attouchements sexuels sous la contrainte
  • Subir une relation sexuelle sous la contrainte

La violence psychologique est un comportement ou un ensemble d’actes qui visent à vous rabaisser ou à vous dénigrer.

Voici quelques exemples de violence psychologique :

  • Propos dévalorisants ou dénigrants, tenus en privé ou en public
  • Insultes
  • Menaces (de diffusion de vidéos à caractère sexuel par exemple)

La violence économique est un comportement qui vise à vous priver d’autonomie financière, et à vous placer sous le contrôle de votre conjoint, ou de votre partenaire de Pacs ou d’union libre.

Voici quelques exemples de violence économique :

  • Contrôle total des ressources du couple et de leur utilisation
  • Privation de ressources de l’autre membre du couple
  • Mise en danger de votre patrimoine (signature d’hypothèque, souscription de crédits à la consommation)

Vous êtes victime de violence conjugale si vous subissez un ou plusieurs des faits cités ci-dessus de la part de votre conjoint, ou de la part de votre partenaire de Pacs ou d’union libre.

Focus: Le contrôle coercitif

Le contrôle coercitif : un concept essentiel dans les violences conjugales

 

Aujourd’hui, des États s’orientent vers la criminalisation du contrôle coercitif dans leur réponse aux violences conjugales.

Malgré une prise de conscience grandissante de la notion du contrôle coercitif, elle est parfois confondue avec l’emprise ou la violence psychologique. Cependant, le contrôle coercitif est distinct de ces deux concepts.

Il est essentiel de comprendre ce type de comportement afin d’élaborer des politiques et des réponses adaptées.

Définition communément admise du contrôle coercitif

Le contrôle coercitif est défini comme un acte délibéré ou un schéma comportemental de contrôle, de contrainte ou de menace utilisé par un individu contre une personne, un/e partenaire intime ou un/e ex-partenaire, dans le but de la rendre dépendante, subordonnée et/ou de la priver de sa liberté d’action.

Les agresseurs intimident, humilient, surveillent, manipulent et/ou isolent afin d’exercer leur pouvoir et leur contrôle. Les tactiques, sur un laps de temps, peuvent être psychologiques, physiques, sexuelles, émotionnelles, administratives et/ou économiques.

L’auteur de contrôle coercitif isole souvent sa victime de toute forme de soutien, exploite ses ressources, l’empêche d’accéder à de nouvelles ressources, réglemente la vie quotidienne de la victime et la prive des moyens nécessaires pour accéder à l’indépendance, résister ou s’enfuir.

Le contrôle coercitif se distingue des agressions isolées.

Définitions, conceptualisations et termes alternatifs

Le terme « contrôle coercitif » est souvent utilisé de manière interchangeable avec d’autres termes, tels que « violence psychologique » , « violence émotionnelle », et « terrorisme patriarcal ou intime », bien qu’il y ait des différences de signification.(1)

Les termes violence « psychologique » et « émotionnelle » peuvent décrire certains aspects du contrôle coercitif, cependant ils n’intègrent pas d’autres éléments de ce dernier tels que le stalking (harcèlement par la traque), les violences physiques, les abus sexuels, administratifs et économiques.(2)

Le contrôle coercitif peut être mal compris et réduit à la violence psychologique et/ou l’emprise dans le contexte français. Depuis juillet 2010, les violences psychologiques au sein d’un couple qui « dégradent la qualité de la vie et provoquent une altération de l’état de santé physique ou mentale » sont une infraction pénale en France.(3)

Les personnes reconnues coupables risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 €.(4)

Suite au Grenelle des violences conjugales en 2019, le gouvernement français a annoncé un certain nombre de mesures qu’il prendra pour lutter contre les violences conjugales.(5)

La notion de l’emprise a ensuite été incluse dans la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, qui vise à protéger les victimes de violences conjugales.(6)

Le terme emprise, qui signifie être sous l’influence ou la domination d’une autre personne, est souvent mal traduit et mal interprété comme « contrôle coercitif ».

Le contrôle coercitif se concentre sur le schéma d’un comportement oppressif et répétitif de l’auteur envers sa victime, comme la privation de droits et de ressources, la surveillance ainsi que la micro-régulation et le contrôle du comportement.(7)

L’emprise, quant à elle, peut être définie comme ce que vit la victime et n’est qu’un aspect du contrôle coercitif.(8)

Le contexte européen

La Convention du Conseil de l’Europe sur la Prévention et la Lutte contre la Violence à l’égard des Femmes et la Violence Conjugale (Convention d’Istanbul) utilise le terme « violence psychologique », au lieu de « contrôle coercitif », pour décrire une infraction intentionnelle « portant gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou la menace. »(9)

Bien que le contrôle coercitif ne soit pas spécifiquement reconnu dans la Convention, les articles 33 et 46 sont pertinents lorsqu’on considère le contrôle coercitif comme une forme répétée ou continue de violence psychologique.(10)

Comportements et tactiques des auteurs de contrôle coercitif

Les auteurs utilisent souvent une combinaison de tactiques et/ou tirent parti de faiblesses ou d’insécurités perçues afin d’exercer leur pouvoir et leur contrôle sur la victime. Voici quelques exemples, non exhaustifs, de ces comportements :

  • isoler la personne de ses amis et de sa famille ;
  • la priver de ses besoins fondamentaux ;
  • surveiller son emploi du temps ;
  • la surveiller via des outils de communication en ligne ou des logiciels espions ;
  • prendre le contrôle de certains aspects de sa vie quotidienne, comme les endroits où elle peut aller, les personnes qu’elle peut voir, ce qu’elle peut porter et quand elle peut dormir
  • la priver de l’accès à des services de soutien, tels qu’une aide spécialisée ou des services médicaux ;
  • la rabaisser de façon répétée, par exemple en lui disant qu’elle ne vaut rien ;
  • appliquer des règles et des activités humiliantes, dégradantes ou déshumanisantes pour la victime
  • forcer la victime à prendre part à des activités criminelles, telles que la négligence ou la maltraitance d’enfants, pour la faire culpabiliser et s’assurer qu’elle n’alerte pas les autorités ;
  • abuser financièrement de la victime,  en ne lui accordant, par exemple, qu’une allocation dérisoire ;
  • menacer de blesser ou de tuer ;
  • menacer un enfant ;
  • menacer de révéler ou de publier des informations privées (par exemple, menacer de révéler l’orientation ou l’identité sexuelle de quelqu’un contre son gré) ;
  • agresser ;
  • infliger des dommages criminels, comme la destruction d’articles ménagers ;
  • violer ;
  • empêcher une personne d’avoir accès aux transports ou de travailler.(11)

Un cas médiatisé de contrôle coercitif ayant entraîné la mort

Le 19 février 2020, Rowan Baxter a assassiné son ancienne compagne Hannah Clarke et leurs trois enfants dans le Queensland, en Australie.(12)

Hannah Clarke avait subi des années de violences psychologiques, économiques et sexuelles de la part de son conjoint, qui contrôlait et surveillait ses déplacements, les personnes qu’elle pouvait voir, ce qu’elle pouvait porter, son accès à l’argent, et menaçait de nuire à leurs enfants si elle n’avait pas de relations sexuelles avec lui. Les tactiques utilisées dans ce cas sont toutes des exemples de contrôle coercitif. Les violences ont également continué après que Clarke a quitté Baxter, quelques mois avant qu’il ne l’assassine.

Statistiques clés

  • Le sociologue et travailleur social médico-légal américain Evan Stark a publié un rapport en 2012, qui a révélé qu’entre 60 et 80 % des femmes qui demandent de l’aide pour des violences conjugales ont subi un contrôle coercitif, y compris de multiples tactiques pour les effrayer, les isoler, les dégrader et les subordonner, ainsi que des agressions et des menaces.(13)
  • Au cours de l’année se terminant en mars 2020, 24 856 infractions de contrôle coercitif ont été enregistrées par la police en Angleterre et au Pays de Galles, contre 16 679 au cours de l’année se terrminant en mars 2019. Cette augmentation pourrait être attribuée aux améliorations apportées par la police pour reconnaître les incidents de contrôle coercitif et, en conséquence, à l’utilisation du Serious Crime Act de 2015.(14)
  • Au cours de l’année se terminant en décembre 2019, 1 057 prévenus ont été poursuivis en Angleterre et au Pays de Galles pour comportements contrôlants ou coercitifs en combinaison avec une autre infraction. Les coups et blessures ordinaires étaient l’infraction pour laquelle les défendeurs étaient le plus souvent poursuivis, combiné à un comportement de contrôle ou de coercition.(15)
  • Un examen des homicides liés aux violences conjugales en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, entre mars 2008 et juin 2016, a révélé que sur 112 homicides, 111 comportaient des tactiques de contrôle coercitif par l’agresseur sur sa victime avant de l’assassiner.(16)

Arguments en faveur de la criminalisation du contrôle coercitif

Les partisans de la criminalisation du contrôle coercitif affirment que ces lois contribueraient à modifier la manière dont les autorités comprennent et répondent à la violence de genre et à mieux tenir les auteurs pour responsables, en se concentrant sur la violence conjugale en tant que schéma de violence, plutôt qu’en tant qu’incidents isolés.(17)

La criminalisation du contrôle coercitif améliorerait la prise de conscience de la société et renforcerait la sécurité des femmes en se concentrant sur les schémas de violence plutôt que sur des incidents isolés, et sur toutes les formes de violence plutôt que sur la seule violence physique.(18)

L’introduction du contrôle coercitif dans les codes pénaux permettrait aux procureurs d’accéder à davantage de preuves pour établir la présence de violences conjugales y compris, entre autres, aux documents financiers, à des communications téléphoniques et numériques, et aux déclarations de témoins.(19)

Arguments contre la criminalisation du contrôle coercitif

Les opposants à la criminalisation du contrôle coercitif soutiennent qu’une réforme législative réussie reposerait sur la volonté et la capacité des victimes à impliquer la police. Cependant, les victimes hésitent souvent à signaler les sévices.(20)

Cela peut être dû à la peur de ne pas être crues, que les violences s’intensifient si la police intervient, ou d’être tenues responsables de sévices commis à leur encontre.

Pour les affaires portées devant les tribunaux, une question clé est de savoir comment prouver la coercition. Considérées individuellement, de nombreuses tactiques de contrôle coercitif ne sont pas criminelles, ce qui peut rendre l’obtention de preuves difficile.

Sans une réflexion approfondie, la criminalisation du contrôle coercitif peut donner aux victimes un faux sentiment de sécurité qui, à son tour, pourrait nuire à leur sécurité.

Légiférer sur l’infraction du contrôle coercitif peut également encourager les forces de l’ordre à attendre l’émergence d’un modèle de violence avant de procéder à une arrestation, plutôt que d’agir sur un incident isolé.(21)

Certains affirment que la criminalisation du contrôle coercitif pourrait avoir un effet négatif sur les populations marginalisées qui, dans de nombreux pays, sont déjà confrontées à des problèmes d’interventions policières excessives et de discrimination raciale.(22)

Les barrières linguistiques, par exemple, pourraient conduire à une mauvaise identification de l’auteur et empêcher la police de bien comprendre la situation.

Les partisans de la criminalisation du contrôle coercitif affirment que ces problèmes peuvent être résolus par une législation soigneusement rédigée, des investissements dans la formation des officiers de justice et l’éducation du public.

Pays ayant criminalisé le contrôle coercitif, pays examinant le contrôle coercitif

En 2015, l’Angleterre et le Pays de Galles sont devenus les premiers pays au monde à légiférer contre « les comportements de contrôle ou de coercition dans une relation intime ou familiale », avec l’adoption de la loi Serious Crimes Act de 2015, rendant le contrôle coercitif passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.(23)

Après l’Angleterre et le Pays de Galles, en 2018, l’Écosse et l’Irlande ont adopté des lois similaires sur le contrôle coercitif et les violences conjugales.(24)

L’État de Tasmanie en Australie est devenu la première juridiction du pays à inclure des infractions spécifiques pour criminaliser des éléments du contrôle coercitif, tels que l’intimidation, la violence économique et psychologique.(25)

Toutefois, de plus en plus d’appels sont lancés pour que le contrôle coercitif devienne une infraction pénale dans toute l’Australie. En septembre 2020, le parti Labor du NSW a présenté au Parlement un projet de loi visant à criminaliser le contrôle coercitif, avec une peine maximale de dix ans.(26)

En novembre de la même année, une alliance fédérale multipartite a été formée, appelant à une approche nationale pour comprendre et criminaliser le contrôle coercitif.(27)

Le gouvernement du Queensland a également annoncé cette année son intention de mettre en place un groupe de travail indépendant chargé de mener des consultations sur une éventuelle législation en matière de contrôle.(28)

Législation des meilleures pratiques pour criminaliser le contrôle coercitif.

Le Domestic Abuse Act écossais de 2018 sur les violences conjugales, qui est entré en vigueur le 1er avril 2019, est considéré comme la référence absolue au niveau mondial pour la criminalisation du contrôle coercitif et des violences conjugales.(29)

Votée à l’unanimité par le gouvernement écossais, la législation crée une infraction spécifique de « comportement abusif envers [un/une] partenaire ou ex-partenaire , qui couvre non seulement les violences physiques, mais aussi les sévices psychologiques et les comportements coercitifs et contrôlants.(30)

Il peut s’agir d’un agresseur qui isole sa victime de ses amis et de ses proches, qui contrôle ses activités quotidiennes, qui l’effraie ou l’humilie.(31)

Conformément à la Convention d’Istanbul, la législation écossaise reconnaît également l’impact négatif de la violence conjugale et du contrôle coercitif sur les enfants