Les auteurs de violences conjugales: comprendre et agir.

En finir d’oublier d’aller aux sources des forces de destruction, de haine et de déshumanisation du lien social

1S’il n’est déjà pas facile d’appréhender les forces de destruction et de déshumanisation qui se glissent au sein des diverses formes de lien social pour les dénoncer et les « travailler », combien il est difficile de les faire reconnaître et de les faire changer dans le domaine de l’idéologique, du politique et du sociétal ! Combien il est également difficile de les repérer en tant que telles et de chercher à les transformer quand c’est au niveau subjectif et intersubjectif que s’entendent l’agressivité, la violence voire l’horreur. Des défenses individuelles et collectives se hérissent pour ne pas regarder, entendre, travailler de face la violence là où elle jaillit. Force est de la considérer du point de vue des victimes : ce qui est déjà important, inéluctable, normalement de droit et de devoir. Mais il a fallu encore beaucoup de temps pour la considérer depuis d’autres points de vue : l’avac (Association vivre autrement ses conflits) a tenu, dès sa création, à aborder ces graves situations de violence depuis plusieurs places.

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L’avac est un regroupement de personnes constitué fin 1995, à Toulouse, à l’initiative d’une psychologue clinicienne, thérapeute familiale psychanalytique. Elle constatait, à travers son exercice professionnel au sein d’un chrs accueillant femmes et enfants, une lacune quant à la prise en charge des hommes violents. Le conseil d’administration de l’avac regroupe des enseignants-chercheurs, des sociologues, des psychologues, des psychothérapeutes, des psychosociologues, des travailleurs sociaux, des responsables de structures sociales, des médecins, des personnes engagées dans l’humanitaire, toutes et tous intéressés par les problèmes psychiques en lien avec les malaises sociaux, et en particulier par l’incidence de la violence sur les individus et les familles.
La violence en famille est un phénomène social de plus en plus pris en considération et qui se donne les moyens d’être entendu, reconnu, pris en charge. Mais tous les collaborateurs et toutes les collaboratrices de l’association ont acquis la conviction que, pour faire reculer les violences faites aux femmes, il importait de travailler en direction des hommes auteurs de violences. L’avac a donc été dès ses débuts dans le petit groupe des quelques associations françaises qui offrent des consultations ouvertes aux hommes. Tout récemment, en plus du cadre individuel ou de couple, se sont mises en place des modalités pour un travail interrelationnel en groupe de parole pour les hommes pris dans des attitudes violentes, car le malaise psychique de l’homme violent reste encore peu entendu.

 

3Les images de la mort, de certaines morts, le désir de destructivité, voire de destruction, éveillent le déni, le clivage, la forclusion, le dégoût. L’homme, qui en est le plus souvent le porteur, est sinon craint, en tout cas enfermé dans une représentation de « monstre ». Il est pourtant essentiel qu’il soit abordé, parfois affronté, contrecarré, endigué (et le judiciaire en est le principal moyen), en tout cas dénoncé (par les proches, la ou les victimes…).

4Il est tout aussi essentiel qu’il ne soit pas réduit à cette seule dimension de sa personnalité, mais au contraire mis devant l’évidence que cette violence fait partie de tout l’ensemble de sa vie émotionnelle, sentimentale, de sa subjectivité.

5Il est enfin fondamental que la réalité de cette composante de violence – en général décrite comme s’imposant, incontrôlable, inexplicable a priori – soit reconnue. De cette réalité, il n’est ni plus ni moins « homme » (dans les diverses acceptions d’une telle notion) : il n’a pas à en faire les feux de la rampe à la Rambo ; il n’en est pas pour autant un paria.

6Nous pouvons alors souligner au porteur d’une telle destructivité que sa place n’est pas dans une quelconque marge de la société (voire hors du lien conjugal ou du lien familial, pour ce qui nous concerne ici aujourd’hui), mais que c’est en ayant place dans ce sociétal qu’il peut évoluer (sauf graves pathologies qui ne sont pas ce qui est dominant chez les acteurs de violence). Il pourra changer dans son mode à être et dans son mode à faire lien avec la personne la plus mêlée, la plus impliquée dans sa vie affective. Il pourra s’approcher de ce mode à vivre où l’autre est à respecter, et non à dominer, à posséder, à vampiriser, et où lui-même devra se montrer comme un être humain respectable car attentif (ou pour le moins, le plus possible vigilant) à l’humanité de l’autre et de lui-même.

Que faut-il pour qu’un tel trajet s’effectue ou pour le moins s’initie ?

7Un auteur de violence doit :

  • comprendre que sa destructivité, sa destruction, est reconnue, nommée en tant que telle (c’est la sortie du déni, du clivage, de la forclusion…). L’intervention de la justice est prépondérante à ce niveau : elle le désigne responsable et coupable. Mais il est important que tout travail psychologique, quel qu’il soit, commence par cette énonciation : « votre attitude est correctionnalisable » ; cela signifie à la fois :
    • que la justice a une place primordiale, lieu marquant de ce qui peut se faire et de ce qui ne se fait pas,
    • que la place d’une consultation psychologique à l’avac (pour un seul entretien ou pour une psychothérapie) s’inclut dans une dimension sociétale, mais qu’en même temps ce n’est pas là que se « crée » la loi, ce n’est pas un lieu de jugement. Mais c’est aussi donner de l’importance au réseau dans lequel vit l’avac : la justice, la police, la gendarmerie, les maisons de justice et du droit, le spip, les représentants du social, de l’éducatif, de l’information, du droit des femmes et des familles, de la délégation régionale du droit des femmes… ;
  • pouvoir être accueilli, trouver un lieu où sa destructivité soit déposée, entendue avec une ouverture la plus fine possible, jusqu’aux racines dans lesquelles elle est intriquée : iceberg d’un ferment social et subjectif personnel, interpersonnel, intragénérationnel et intergénérationnel. Cela implique un accueil effectivement sans jugement ni préjugé, sans compassion non plus ;
  • trouver une écoute convaincue que son identité n’est pas la violence, mais qu’elle inclut cette violence, en capacité d’interagir avec d’autres éléments de sa subjectivité ; alors il aura les moyens de dénouer ce qui l’a conduit à être sur un mode à vivre sa symptomatologie d’une manière inacceptable pour autrui et pour lui-même.

Tout cela passe par une rencontre, voire un processus préthérapeutique, et si possible thérapeutique, comme cela est mis en place par les psychologues et psychothérapeutes de l’avac, d’obédience psychanalytique (quelques-uns sont aussi psychanalystes et, parmi eux, certains sont des psychothérapeutes psychanalystes du couple et de la famille). Les psychothérapeutes sont, dans un premier temps, convoqués à la place de témoins passifs de cette violence, pour en devenir progressivement des témoins actifs : « l’action » thérapeutique est d’être facteur de symbolisation, ce qui donne sens à des pulsions, des sentiments, des angoisses, des fantasmes. En même temps qu’elle est levier de libération de parole et de sens, elle est aussi « pare-excitation » : arriver à ne pas se laisser « envahir », « déborder » par ce « volcan », selon les termes des auteurs de violence, mais à l’endiguer au plus tôt, en particulier dans une mise en mots à la place des gesticulations de tout genre, de tout sens et de tout non-sens. 

Quels processus l’avac met-elle en place pour cela ?

8L’avac dispose d’un éventail de possibilités pour être au plus proche de la demande et surtout de ce qui est le plus adapté à la problématique et à la personnalité de chacun :

  • une psychothérapie individuelle ;
  • une psychothérapie de couple ;
  • une psychothérapie de Monsieur en présence de Madame, en particulier dans des cas de grands déficits d’idéation chez Monsieur, de pauvreté d’élaboration (avec l’accord bien sûr de l’un et de l’autre) ;
  • un groupe de parole d’hommes auteurs de violence, animé par un couple mixte d’intervenants psychothérapeutes.

Ces divers dispositifs, disponibles en permanence à l’avac, peuvent être utilisés éventuellement de manière concomitante ou successive (dans la mesure où un psychothérapeute sera désigné sur un seul cadre de travail psychothérapeutique, un autre interviendra dans un autre cadre au sein de l’avac). Lors d’un entretien préliminaire qui évalue la pertinence d’un choix ou d’un autre, il y a aussi une vigilance à ce que la venue de Monsieur à l’avac ne soit pas une volonté d’emprise sur Madame, dans le cas où elle-même s’y rend également. 

Qu’en est-il des groupes de parole d’auteurs de violence ?

9Il y a des nuances dans le protocole de déroulement selon :

  • qu’il s’établit en lien avec le spip dans le cadre de l’obligation de soin : ce sont alors des « stages de responsabilisation » ;
  • qu’il propose un lieu regroupant : soit des hommes qui ont participé aux stages de responsabilisation mais qui souhaitent approfondir leur démarche personnelle par ce moyen ; soit des hommes qu’un médiateur judiciaire d’une Maison de la justice et du droit (mjd) a motivés pour un tel lieu de réflexion, d’analyse et de changement ; soit enfin des hommes qui ont d’eux-mêmes décidé de leur participation. Ils peuvent mener, en parallèle ou non, d’autres cadres de travail psychologique.
  • qu’il se passe en collaboration avec les mjd, des « ateliers de sensibilisation », sans prétention thérapeutique mais dont le but est précisément d’attirer l’attention sur les problématiques liées aux expressions violentes chez les hommes suivis par ces services (ceci est en projet).

Les deux premiers types de groupes sont toujours introduits par un entretien individuel qui a pour but de repérer d’une part tout élément psychique temporaire ou structurel qui serait contraire à une participation au groupe, et d’autre part, d’apprécier la motivation personnelle à tirer parti de cette participation. 

10En séances de groupe de parole, l’observation montre que la prise de parole et l’exposé de chaque situation vécue par les personnes présentes se font d’emblée avec plus ou moins de précision et de recul, mais en toute responsabilisation, avec une émotion non affectée qui en signe l’authenticité. Ce qui diffère entre les participants, c’est leur capacité d’analyse assortie d’un désir d’aller plus loin dans la compréhension personnelle de leur violence, leur possibilité d’accepter des éléments interprétatifs et le degré d’autonomie psychique dont ils semblent faire preuve ou qu’ils sont en mesure de vivre dans leur vie filiale, parentale, familiale, professionnelle ou de couple. Ces éléments font ressortir quelques-uns d’entre eux comme immatures ou plus faibles, plus dépendants. À l’inverse, d’autres stagiaires peuvent être qualifiés de « tempéraments forts » sans que ce soit pour autant vécu comme une valorisation sociale. Les différences d’âge et la variété des professions sont plutôt un stimulant qu’un inconvénient, et elles sont reconnues ainsi par les participants.

Qu’attend un participant de tels groupes ?

11Pour les groupes d’hommes montés avec le spip apparaît une quête de mise en conformité avec les obligations qui ont entraîné la condamnation. Le cadre judiciaire coercitif qui les conduit vers le travail psychologique à l’avac déclenche une interrogation qui n’aurait pas été menée en d’autres circonstances. Mais la décision d’obligation de soins n’est pertinente et efficace qu’à la condition d’être reprise judicieusement dans le suivi au spip où le conseiller d’insertion et de probation évalue le juste moment pour le proposer. L’entretien préliminaire à l’avac reprendra encore autrement ce passage à l’acte pour le situer avec l’intéressé dans la globalité de son histoire, de sa personnalité, de ses mal-être (importance du lien au père, mais peut-être d’abord de celui à la mère). Sous cet angle, pour certains, l’effort à fournir pour suivre le stage et s’y impliquer participe volontairement à une sorte « d’expiation » devant le remords et la honte de leurs actes. Mais un tel but se retrouve dans toute forme de stage.

12Souvent, pour les migrants primo-arrivants ou encore de première ou deuxième génération, c’est une attente de trouver des hommes qui, comme dans un rite initiatique, leur apprendront à être un homme, en particulier dans leur rencontre et leur compagnonnage avec une femme. Dans le transfert vite établi sur le couple thérapeutique mixte se découvre l’image du calme et du respect entre un homme et une femme.

13La plupart manifestent une attente de s’exprimer et saisissent une occasion souvent jamais trouvée jusqu’alors de parler, de parler de soi, d’entendre les autres, de chercher à comprendre ce qui les a amenés à de tels comportements.

Ce qui fonctionne dans de tels groupes

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  • L’entraide à la conceptualisation de l’un à l’autre des participants pour des personnalités qui n’ont pas maturé psychiquement, qui ont des défaillances dans la mentalisation et dans l’élaboration de leurs émotions, de leurs sentiments, dans la mise en pensée de leurs angoisses.
  • L’évolution vers une identification masculine plus harmonieuse.
  • La mise en place d’une réflexion avant l’action, liée à l’écoute attentive de la parole de chacun.
  • La possibilité d’une vision nouvelle de ses capacités de réaction à expérimenter le respect de l’autre, suite à l’expérience racontée par les autres.
  • La capacité retrouvée d’une mise en perspective de chaque histoire singulière.
  • Une renarcissisation en tant qu’homme et père.
  • Le rôle de la peur (voire de l’angoisse) est repéré comme un élément moteur des conflits et de la violence : peur de perdre l’autre, peur de la solitude, peur de ne pas être compris, pas reconnu, pas aimé, peur de « la femme », peur aussi de parler.

 

Qu’est-ce qui est mobilisé chez le psychothérapeute dans un travail thérapeutique avec les auteurs de violence ?

15Ce ne seront pas des choses exceptionnelles pour un psychanalyste psychothérapeute : ce qui va être particulièrement mobilisé avec de tels hommes, c’est la capacité à s’identifier et à être avec sa propre destructivité, son désir de mort, d’emprise, de toute-puissance, de domination pour accepter les leurs. Cela suppose d’être proche de ses propres jouissances perverses pour ne pas rejeter les leurs et d’avoir « réalisé » la place immense de ses propres fonctionnements archaïques pour voyager avec les leurs, prédominants chez de telles personnalités. Cela présuppose aussi d’avoir accepté les avatars de sa maturation psychique, avec ses affres et ses délices en tant que bourreau et en tant que victime, tout comme d’avoir côtoyé, déterré et élucidé ses fantasmes, avec leurs angoisses et leurs douceurs dans leurs représentations du masculin et du féminin.

16En bref, un métier qui est un sport au milieu de tant de combats…