Violences conjugales : « J’ai pu voir une violence plus cachée commise par des hommes extrêmement bien installés socialement »

– 208.000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées en 2021 par les services de police et de gendarmerie.

– Le journaliste et romancier Mathieu Palain a enquêté durant quatre ans sur ces hommes qui agressent leurs conjointes ou ex-partenaires.

– On a voulu savoir quel est leur profil et pourquoi frappent-ils ?

Les statistiques faisant état des femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint font froid dans le dos : 146 femmes assassinées en 2019, 102 en 2020, 113 en 2021. Mais avant d’en arriver au pire, il y a la violence quotidienne, insidieuse. Une gifle, un geste brusque, des coups, des rapports non consentis. Car il existe aussi un autre chiffre : 220.000 femmes en moyenne déclarent chaque année subir des violences conjugales, ce qui équivaut somme toute à 220.000 hommes violents. 

« Et ce qui est inquiétant, c’est que les experts considèrent qu’il faut multiplier ce chiffre par quatre ou cinq parce que toutes les femmes ne portent pas plainte », explique Mathieu Palain, auteur du livre « Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents », à paraître le 12 janvier aux Éditions Les Arènes. À la suite de son podcast à succès « Les hommes violents », réalisé en 2019 en immersion dans un groupe de parole, Mathieu  Palain a poursuivi son enquête durant quatre ans avec de nouveaux témoignages sur ces hommes qui violentent celles qu’ils disent aimer, battant en brèche quelques idées reçues.

« Des médecins, des avocats, des banquiers »

Lors de l’écriture de votre livre, vous avez constaté que les auteurs de violences peuvent venir de milieux aisés, les profils ont-ils autant évolué ?

Àla base, j’avais une représentation un peu biaisée des auteurs de violences conjugales. J’avais l’image d’une brute alcoolique et bas de plafond, qui frappe sa femme parce qu’elle a brûlé le gratin ou trop salé la soupe. En fait, les chiffres sont suffisamment énormes pour voir que ces couples viennent de tous les milieux. Mais sur le terrain, ce qui m’a permis de me rendre compte de l’extrême diversité des profils, c’est d’aller d’une part du côté des auteurs qui sortent de prison, qui ont été condamnés. Là, on a des profils assez classiques, représentatifs de la population carcérale française, c’est-à-dire des hommes qui pour beaucoup sont issus de la classe moyenne basse, voire de classes plus défavorisées. Tandis que du côté des victimes, par leur témoignage, j’ai pu voir aussi une violence plus cachée, qui passe sous les radars, commise par des hommes extrêmement bien installés socialement, vivant dans des beaux appartements avec des métiers très bien payés : des médecins, des avocats, des banquiers, des directeurs de théâtre… Il faut dire que c’est plus difficile de porter plainte pour les femmes, quand elles sont issues d’un milieu social aisé, il y a le ‘qu’en dira-t-on’ et aussi la peur du poids de la justice surtout quand il y a des enfants. La majorité d’entre elles préfère donc partir sans que leur conjoint soit inquiété.

Les hommes que j’ai interrogés sont beaucoup dans le déni. Certains refusent même de prononcer ces mots : ‘j’ai battu ma femme’ alors que toutes les preuves les accablent.

Durant ces quatre ans d’enquête sur le terrain, avez-vous perçu une prise de conscience croissante ?

Les hommes que j’ai interrogés sont beaucoup dans le déni. Certains refusent même de prononcer ces mots : ‘j’ai battu ma femme’ alors que toutes les preuves les accablent. Ils sentent que ce n’est pas quelque chose dont ils peuvent se vanter, ce qui n’était pas le cas il y a encore 40 ou 50 ans – où presque personne ne s’offusquait qu’un homme batte sa femme parce qu’elle avait mal fait ci ou mal fait ça. Ce déni est aussi dû au fait qu’ils ont bien conscience que cette norme, qui autorisait le chef de famille à avoir autorité sur tout le monde, femme et enfants, n’est plus possible. On a une société qui évolue même si on aimerait que ça aille plus vite. Par ailleurs, depuis le mouvement MeToo, les hommes ont aujourd’hui une réaction de défense, car le message qui est véhiculé dans le monde entier les dépasse. Ce qui pousse certains à renverser les choses et à dire que les femmes ont maintenant le pouvoir et que la justice est dans leurs mains.

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Pour autant, les hommes violents peuvent-ils changer ?

Ce que j’ai vu, c’est que la violence n’est pas quelque chose que vous avez en vous. C’est quelque chose que vous apprenez en imitant ou en y étant confronté. Dans mon livre, j’évoque un chercheur qui parle de ‘contagion de la violence’ qui serait un virus qu’on se transmet en y étant exposé. Y être exposé, ça veut dire pour certains grandir dans un quartier violent avec des codes de la violence et ça veut dire aussi grandir dans un foyer violent. En fait, si vous apprenez depuis tout petit à régler vos problèmes et les conflits par les poings, quand vous vous sentez méprisé ou humilié, vous agissez de la même façon. La manière avec laquelle on réagit est aussi lié à la manière avec laquelle on a été élevé, à ce qu’on a vu, à ce qu’on a côtoyé. Une autre chercheuse, Liliane Daligand, qui a expertisé plus de 700 hommes violents, évoque, elle, une grande immaturité de la part de ces hommes liée à l’image d’une mère toute-puissante. On est dans une société qui a vocation à punir pour réintégrer donc je pense que le travail mené par les associations ou les groupes de parole, même si ce n’est pas la solution pour tous, peut avoir des effets bénéfiques. En revanche, éviter la récidive chez des hommes de 65 ou 70 ans, je pense que c’est très difficiles. Les chances sont minimes.


Virginie Fauroux