Lorsque les victimes de violences conjugales trouvent la force de mettre fin à une relation avec un agresseur et de prendre des mesures pour se protéger elles et leurs enfants, leur traumatisme ne s’arrête malheureusement pas là.
Dans la plupart des cas, les auteurs de violences utilisent des stratégies pour discréditer leur victime et se servent du système judiciaire pour continuer à la contrôler et la dominer.
Nier, attaquer, inverser les rôles de victime et d’agresseur (“DARVO”)
Une stratégie couramment utilisée par les auteurs de violences conjugales est connue sous le nom de « DARVO », un acronyme anglais qui désigne le fait de nier, attaquer et inverser les rôles de victime et d’agresseur. Cette stratégie commence à être mise en lumière dans de nombreux pays pour identifier la manipulation des agresseurs.
Cette stratégie est mise en œuvre pour détourner les accusations des victimes et leur nuire davantage. Les auteurs de violences, souvent aidés de leurs alliés, tentent de nier les violences, de discréditer la victime, et prétendent que ce sont en fait eux les victimes.
Elle peut être utilisée en privé comme en public, notamment dans le cadre de procédures judiciaires.
Nier les violences
Dans l’ensemble, la recherche montre que les fausses accusations de violences conjugales faites par les femmes sont très rares.
Il est bien établi par de nombreuses études que seul un faible pourcentage de femmes font de fausses déclarations de violences conjugales.
Pourtant, dans la majorité des cas, les auteurs de violences prétendent que les accusations à leur égard sont fausses.
Parmi les affirmations courantes de la défense des agresseurs, on trouve notamment :
- “elle ment pour obtenir la garde exclusive de nos enfants”
- “elle ment pour des raisons financières”
- “elle ment pour se venger”
- “elle ment pour obtenir des papiers d’immigration”
- “elle est folle / elle souffre d’un grave problème de santé mentale”.
Les experts en violences conjugales savent que ces affirmations n’ont aucun fondement réel. Pourtant, elles sont régulièrement utilisées par les auteurs de violences pour nier leurs comportements violents.
Par ailleurs, il est essentiel de distinguer les accusations “non fondées” des “fausses accusations”. Le terme “non fondé” ne signifie pas que les violences n’ont pas eu lieu, il fait simplement référence à un manque de preuves admissibles.
Attaquer les personnes qui les dénoncent
Il arrive fréquemment que les auteurs de violences tentent de discréditer et d’intimider la victime ainsi que ses enfants et les éventuels témoins.
Des recherches ont montré que de nombreux auteurs de violences s’en prennent activement et sans relâche à leur victime après que celle-ci a dénoncé leurs comportements violents.
Ces stratégies d’attaque incluent généralement :
- répandre des informations fausses et préjudiciables sur la victime
- faire de fausses accusations de toxicomanie ou de graves problèmes de santé mentale à l’encontre de la victime
- invoquer le traitement de santé mentale de la victime pour prétendre qu’elle est un parent inapte
- engager des procédures judiciaires fondées sur de faux éléments
- commettre des délits ou infractions, comme la fraude, au nom de la victime
- menacer la victime de recourir à l’une des stratégies ci-dessus.
Inverser les rôles de victime et d’agresseur
La recherche a montré que de nombreuses victimes de violences conjugales ont fait l’objet de fausses plaintes déposées par leur agresseur auprès des services de police et de protection de l’enfance.
Selon Nicole Bedera, de l’université du Michigan, les auteurs de violences déposent de plus en plus de fausses plaintes à l’encontre de leur victime.
La très grande majorité des études menées dans le monde entier montrent que les femmes sont rarement les auteurs de violences conjugales. En outre, lorsqu’une femme a adopté un comportement pouvant être qualifié de violence conjugale, ce comportement est en général une réaction de résistance au contrôle coercitif auquel elle a été soumise.
Une autre stratégie courante des agresseurs consiste à accuser la victime “d’aliénation parentale”. Cette accusation est utilisée pour discréditer les mères dans les procédures de garde d’enfants.
Le concept “d’aliénation parentale” a été inventé dans les années 1980 par Richard Gardner, militant des droits des hommes et psychiatre controversé, qui a également suggéré que les violences sexuelles faites aux enfants faisaient partie de la condition humaine.
Ce concept a depuis été largement condamné et rejeté par la communauté scientifique. Cependant, les tribunaux et les institutions du monde entier n’ont pas encore reconnu que “l’aliénation parentale” est un concept sans fondement qui met les victimes et leurs enfants en danger.
On estime que la reconnaissance de “l’aliénation parentale” par les tribunaux des États-Unis a contribué à la mort de centaines d’enfants par an.
La vulnérabilité du système judiciaire français, et les solutions à envisager
Alors que la majorité des juges en France sont des femmes, le système juridique français est particulièrement vulnérable à la manipulation des auteurs de violences conjugales en raison de suppositions erronées, de préjugés inconscients et de discriminations existants dans la culture sociétale, notamment :
- Les attentes à l’égard du comportement des mères sont nettement plus élevées que celles à l’égard des pères.
- Les femmes victimes sont jugées sur les décisions qu’elles ont prises avant d’être confrontées aux violences.
- Les femmes racisées font l’objet d’un taux de suspicion plus élevé.
- Les femmes musulmanes sont confrontées à des présomptions erronées sur leur religion, leur culture et leurs choix en général.
- Les personnes non-françaises sont suspectées de faire des fausses accusations pour obtenir un droit au séjour.
- Les hommes victimes sont jugés comme censés pouvoir se protéger en raison de leur genre.
- Les hommes français blancs issus de bonnes familles/écoles ou occupant des emplois importants sont considérés comme des « hommes respectables » et par conséquent jugés comme incapables de commettre des violences.
- Les hommes qui se comportent de manière respectueuse, généreuse et bienveillante dans tous les autres aspects de leur vie sont présumés incapables de commettre des violences entre partenaires intimes et parviennent facilement à trouver des alliés pour discréditer la victime.
Les institutions et services qui veulent se protéger des stratégies de manipulation des auteurs de violences doivent :
- mettre en place des processus d’identification de ces stratégies
- veiller à évaluer chaque situation avec une perspective holistique et historique
- agir activement pour éliminer les préjugés inconscients et les discriminations de leurs systèmes.
Women for Women France propose des formations dans ce domaine aux professionnels de premier accueil des victimes et aux professionnels de justice.