Une belle initiative pour dénoncer les violences faites aux femmes : L’Œil de la Photographie Marc Melki : #AprèsLesViolences

“Alors que nous sommes au lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle, une femme a encore été tuée le 14 avril dernier par son ex-compagnon.
C’est le 38ème féminicide depuis le début de l’année 2022…
Et pourtant le sujet des violences conjugales a été peu très peu évoqué par nos politiques durant cette campagne …
Malgré quelques notables avancées le bilan n’est pas bon, 113 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint en 2021, une tous les 3 jours.
La société semble prête à se mettre en mouvement contre les violences faites aux femmes, mais il manque une forte volonté politique et les moyens.”
Marc Melki

 

Marc Melki : Depuis le début des années 2000, j’ai été sensibilisé au sujet des violences faites aux femmes parce que la mère de mes enfants travaillait à l’époque pour la Fédération nationale solidarité femmes. Comme j’étais photographe, la FNSF m’avait confié une mission dans un centre d’hébergement pour femmes en Seine-et-Marne. J’y avais rencontré deux femmes incroyables que j’avais photographiées. Elles réhabilitaient des logements pour accueillir des victimes. Par la suite, Jérôme Giusti, alors l’un des premiers avocats bénévoles de Droits d’urgence qui a présidé l’association jusqu’en 2021, voulait depuis environ trois ans que l’on réalise un travail photographique sur les violences faites aux femmes.

Nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvions le traiter. Lizzie Sadin a fait un travail remarquable sur les violences faites aux femmes à la fin des années 90 (ndlr : voir son sujet « Est-ce ainsi que les femmes vivent »), mais je ne souhaitais pas faire du reportage dans les commissariats, ni être dans l’actu, je ne voulais pas non plus photographier des femmes maquillées avec des faux bleus. C’est en lisant un article paru dans la presse que j’ai eu un déclic, il décrivait les moments clés où des victimes avaient eu le courage de partir. Je me suis dit qu’il était possible que ces femmes s’en sortent, et il était important de savoir comment. Le projet s’est ensuite dessiné rapidement, je devais partir à la rencontre de ces femmes et c’est grâce à Droits d’urgence que j’ai été mis en contact avec Led By HER – une association qui propose aux femmes victimes de violences une reconstruction professionnelle par l’entrepreneuriat.

Geneviève Garrigos pose pour Daniela. Conseillère de Paris, déléguée au maire du 20e en charge de la ville du quart d’heure. #AprèslesViolences ©Marc Melki

Sophie #AprèslesViolences ©Marc Melki

9 Lives : Gwenaelle Thomas-Maire, vous êtes directrice générale de Droits d’urgence, Anne-Thalia Crespo quant à vous, vous êtes en contact direct avec les victimes de violences conjugales, pouvez-vous nous présenter l’association et nous parler de votre rôle ?

Gwenaelle Thomas-Maire : L’Association Droits d’urgence a été créée en 1995, elle est spécialisée dans l’accès au droit, de manière générale. Nous allons vers les publics en situation d’exclusion et nous les accompagnons par le droit. Ce qui est important de comprendre, c’est que lorsqu’on est en situation d’exclusion, ce sont les ruptures de droits qui viennent aggraver notre situation, jusqu’à devenir de plus en plus critique.
Notre mission est donc d’informer et d’aider les personnes en situation d’exclusion à faire valoir leurs droits. Depuis 2006, via la démarche d’Anne-Thalia, nous avons mis en place des actions destinées aux victimes de violences conjugales, nous avons ainsi commencé à construire un réseau de professionnels de différentes disciplines dans le 20ème arrondissement de Paris. Lorsque ces femmes arrivent, la première réponse sera généralement une prise en charge psychologique ou leur trouver un hébergement pour qu’elles soient en sécurité. Si nous sommes une première porte d’entrée, nous devons être en mesure d’orienter ces victimes. En 2017, nous avons mis en place une plateforme numérique dédiée aux victimes de violences conjugales, qui a été financée par la Fondation la France s’engage.
Le droit est fondamental. C’est la colonne vertébrale pour sortir des violences. Les victimes concernées ont besoin que des procédures civiles et pénales soient mises en place. Mais à côté de ça, il faut pouvoir travailler avec d’autres professionnels qui prennent en charge la partie sociale et psychologique.

Anne-Thalia Crespo :  En effet, nous avons ouvert avec la Ville de Paris ce point d’accès aux droits dans le 20ème, et avons créé un accueil renforcé pour les victimes de violences conjugales. Elles peuvent ainsi venir en urgence à n’importe quel moment. Cet accueil a évolué avec le temps, avec les lois, grâce à l’accélération du mouvement #metoo et du Grenelle des violences conjugales en 2019. Année où l’on a commencé le décompte des féminicides. Ces dernières années on remarque un intérêt grandissant des pouvoirs publics. En 2006, c’était très différent, il est important de dire à quel point les réveils de la société se font et qu’on avance. À force d’en entendre parler, le grand public s’intéresse à ces questions, contraignant les politiques à réagir !
Il n’y a jamais eu autant de lois que depuis 2019. Il y avait des violences auxquelles on ne prêtait pas attention et qui aujourd’hui sont bien mises en valeur, comme les cyber violences par exemple.

Malgré toutes les discussions et les nombreux sujets dans les médias, pour beaucoup la violence conjugale ce sont les coups. La violence psychologique est peu prise en compte car très difficile à prouver, je ne parle même pas des violences économiques et administratives dont on ne tient absolument pas compte, qui sont pourtant très fortes parce qu’elles permettent l’emprise quasi immédiate, par exemple pour les victimes qui n’ont pas de titre de séjour. À ce titre, depuis 6 mois, nous formons les policiers parisiens des 18e, 19e et 20e arrondissement avec lesquels des liens se nouent, et ça change beaucoup de choses.

Marc Melki : C’est tout un maillage de compétences qui est nécessaire pour résoudre ce problème : la justice, la police, l’éducation… Je pense que c’est un des soucis que rencontrent les gouvernements successifs français. Quand une femme veut partir, elle ne sait pas où aller, nous en sommes encore là ! C’est pour cela que j’avais envie de développer ce sujet pour montrer et donner la parole à celles qui s’en étaient sorties.

Anne-Thalia Crespo : Moi, je me bats depuis des années ! Cela fait 12 ans qu’il y a un dispositif qui permet aux victimes de rester au domicile et d’expulser le conjoint violent. Je n’ai pas envie que ce soit aux femmes – les victimes – de partir dans des hébergements d’urgence. Il y a des rats, des cafards, souvent elles ont de jeunes enfants. Ça suffit la double, triple, quadruple violence. Et depuis très peu de temps, quand une plainte est déposée le conjoint est placé en garde à vue le temps de faire une enquête. Mais pour ça il faut qu’il y ait des marques. Quand une femme est violée et qu’elle ne peut pas le prouver car elle subit des viols depuis 4 ans tous les deux jours, c’est sa parole contre celle de son agresseur.
S’il s’agit de violences constatées, l’agresseur est systématiquement orienté vers un contrôle judiciaire, donc vers une audience déportée ou en comparution immédiate. Ce contrôle judiciaire va interdire au conjoint de revenir au domicile et d’entrer en contact avec la victime de quelque façon que ce soit, avec obligation de soins… Ceux qui ne respectent pas leur contrôle judiciaire vont en prison ! Alors pour éviter qu’ils retournent au domicile, il y a des hôtels sociaux qui ont été mis en place. Finalement, cela me choque moins que ce soit eux, plutôt que la victime avec ses enfants qui soient dans ces hébergements.

Gaëlle #AprèslesViolences ©Marc Melki

Geneviève #AprèslesViolences ©Marc Melki

La victime ne peut pas s’en sortir seule. Elle s’en sort parce qu’elle trouve un réseau qui s’organise autour d’elle, qui va l’accompagner dans les démarches de réinsertion sociale, de réinsertion professionnelle, pour lui trouver un nouveau logement… Nous, par exemple, à partir du moment où une femme a une ordonnance de protection, nous lui trouvons un logement immédiatement. Mais il y a deux types de cas, le premier où une femme qui a vécu ces horreurs est dans l’urgence de quitter le foyer et de divorcer, parce que sa vie est menacée. Pour elle, l’urgence n’est pas de dénoncer les faits. Elle va se retrouver souvent sans ses enfants dans un hébergement éloigné, et va entamer les démarches de divorce. Mais elle ne se rend pas compte que le fait d’engager ces procédures va lui desservir. Le juge va la rendre coupable d’avoir abandonné sa famille et elle va tout perdre. Dans un second cas, on explique à la victime que la première démarche est de dénoncer les violences avant de partir. Sur la base de ces dénonciations, elle pourra se voir attribuer le domicile en urgence et avoir la garde des enfants et généralement en deux mois, on leur attribue un nouveau logement. En moyenne, 7 femmes sur 10 qui viennent nous voir sortent des violences grâce à un accompagnement suivi

Gwenaelle Thomas-Maire : Pour s’en sortir, il faut une première porte d’entrée. Il faut ensuite avoir des professionnels qui puissent les accompagner. C’est quand même un parcours du combattant, sur la partie juridique mais aussi la partie médicale, parfois parce qu’il y a les aspects psychologiques qui sont importants sur l’hébergement sur la question de l’autonomie financière et économique.

9 Lives : Marc, tu as débuté quelques portraits mais tu fais face à la difficulté de trouver des témoignages car cela peut mettre ces femmes en danger. Quelles solutions peuvent être mises en place

Marc Melki : On fait souvent face à ce problème en photographie, comment faire pour que les personnes acceptent d’être photographiées ? Ces femmes sont là pour donner d’elle, de leur expérience. Et effectivement, un des points pour lesquels ça bloque, c’est la difficulté de trouver ces femmes et c’est pourquoi j’avais pensé à faire une action solidaire avec des femmes qui prennent le relais. Parce que ça permet de porter leur parole.

Les quatre femmes que j’ai photographiées nous ont été trouvées par l’association Led By HER. Nous devons continuer à trouver des femmes qui accepteraient de témoigner. C’est possible, car nous sommes bien encadrés, mais il reste le problème du financement. Je reste convaincu que libérer la parole des femmes – celles qui arrivent à se libérer de ces carcans de la violence – vont aider d’autres femmes. Lorsqu’on a montré les quelques portraits faits c’est la force de ces femmes qui a été transmise. Si l’agresseur voit les photos, comment peut-il réagir et est-ce qu’il y a un risque ? Et c’est pour cela que je reprends un peu l’idée de faire incarner les témoignages par des personnalités, comme je l’avais fait pour #ExilIntraMuros.

« On n’est pas victime, on ne naît pas victime, on ne meurt pas victime, parfois, dans la vie, on le devient et on en sort. Ces femmes victimes de violences conjugales ont une force intérieure extrême, dont elles n’ont pas conscience, elles ne s’en rendent compte qu’après coup. Ce sont pourtant des héroïnes, des guerrières. Quand elles s’en sortent elles brisent leurs carcans, abandonnent le projet familial pour être libre, pour ne plus subir, pour ne plus être victime, pour que leurs enfants puissent vivre dans des conditions correctes ». – A.-T. C.