Focus: Le contrôle coercitif

Le contrôle coercitif : un concept essentiel dans les violences conjugales

 

Aujourd’hui, des États s’orientent vers la criminalisation du contrôle coercitif dans leur réponse aux violences conjugales.

Malgré une prise de conscience grandissante de la notion du contrôle coercitif, elle est parfois confondue avec l’emprise ou la violence psychologique. Cependant, le contrôle coercitif est distinct de ces deux concepts.

Il est essentiel de comprendre ce type de comportement afin d’élaborer des politiques et des réponses adaptées.

Définition communément admise du contrôle coercitif

Le contrôle coercitif est défini comme un acte délibéré ou un schéma comportemental de contrôle, de contrainte ou de menace utilisé par un individu contre une personne, un/e partenaire intime ou un/e ex-partenaire, dans le but de la rendre dépendante, subordonnée et/ou de la priver de sa liberté d’action.

Les agresseurs intimident, humilient, surveillent, manipulent et/ou isolent afin d’exercer leur pouvoir et leur contrôle. Les tactiques, sur un laps de temps, peuvent être psychologiques, physiques, sexuelles, émotionnelles, administratives et/ou économiques.

L’auteur de contrôle coercitif isole souvent sa victime de toute forme de soutien, exploite ses ressources, l’empêche d’accéder à de nouvelles ressources, réglemente la vie quotidienne de la victime et la prive des moyens nécessaires pour accéder à l’indépendance, résister ou s’enfuir.

Le contrôle coercitif se distingue des agressions isolées.

Définitions, conceptualisations et termes alternatifs

Le terme « contrôle coercitif » est souvent utilisé de manière interchangeable avec d’autres termes, tels que « violence psychologique » , « violence émotionnelle », et « terrorisme patriarcal ou intime », bien qu’il y ait des différences de signification.(1)

Les termes violence « psychologique » et « émotionnelle » peuvent décrire certains aspects du contrôle coercitif, cependant ils n’intègrent pas d’autres éléments de ce dernier tels que le stalking (harcèlement par la traque), les violences physiques, les abus sexuels, administratifs et économiques.(2)

Le contrôle coercitif peut être mal compris et réduit à la violence psychologique et/ou l’emprise dans le contexte français. Depuis juillet 2010, les violences psychologiques au sein d’un couple qui « dégradent la qualité de la vie et provoquent une altération de l’état de santé physique ou mentale » sont une infraction pénale en France.(3)

Les personnes reconnues coupables risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 €.(4)

Suite au Grenelle des violences conjugales en 2019, le gouvernement français a annoncé un certain nombre de mesures qu’il prendra pour lutter contre les violences conjugales.(5)

La notion de l’emprise a ensuite été incluse dans la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, qui vise à protéger les victimes de violences conjugales.(6)

Le terme emprise, qui signifie être sous l’influence ou la domination d’une autre personne, est souvent mal traduit et mal interprété comme « contrôle coercitif ».

Le contrôle coercitif se concentre sur le schéma d’un comportement oppressif et répétitif de l’auteur envers sa victime, comme la privation de droits et de ressources, la surveillance ainsi que la micro-régulation et le contrôle du comportement.(7)

L’emprise, quant à elle, peut être définie comme ce que vit la victime et n’est qu’un aspect du contrôle coercitif.(8)

Le contexte européen

La Convention du Conseil de l’Europe sur la Prévention et la Lutte contre la Violence à l’égard des Femmes et la Violence Conjugale (Convention d’Istanbul) utilise le terme « violence psychologique », au lieu de « contrôle coercitif », pour décrire une infraction intentionnelle « portant gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou la menace. »(9)

Bien que le contrôle coercitif ne soit pas spécifiquement reconnu dans la Convention, les articles 33 et 46 sont pertinents lorsqu’on considère le contrôle coercitif comme une forme répétée ou continue de violence psychologique.(10)

Comportements et tactiques des auteurs de contrôle coercitif

Les auteurs utilisent souvent une combinaison de tactiques et/ou tirent parti de faiblesses ou d’insécurités perçues afin d’exercer leur pouvoir et leur contrôle sur la victime. Voici quelques exemples, non exhaustifs, de ces comportements :

  • isoler la personne de ses amis et de sa famille ;
  • la priver de ses besoins fondamentaux ;
  • surveiller son emploi du temps ;
  • la surveiller via des outils de communication en ligne ou des logiciels espions ;
  • prendre le contrôle de certains aspects de sa vie quotidienne, comme les endroits où elle peut aller, les personnes qu’elle peut voir, ce qu’elle peut porter et quand elle peut dormir
  • la priver de l’accès à des services de soutien, tels qu’une aide spécialisée ou des services médicaux ;
  • la rabaisser de façon répétée, par exemple en lui disant qu’elle ne vaut rien ;
  • appliquer des règles et des activités humiliantes, dégradantes ou déshumanisantes pour la victime
  • forcer la victime à prendre part à des activités criminelles, telles que la négligence ou la maltraitance d’enfants, pour la faire culpabiliser et s’assurer qu’elle n’alerte pas les autorités ;
  • abuser financièrement de la victime,  en ne lui accordant, par exemple, qu’une allocation dérisoire ;
  • menacer de blesser ou de tuer ;
  • menacer un enfant ;
  • menacer de révéler ou de publier des informations privées (par exemple, menacer de révéler l’orientation ou l’identité sexuelle de quelqu’un contre son gré) ;
  • agresser ;
  • infliger des dommages criminels, comme la destruction d’articles ménagers ;
  • violer ;
  • empêcher une personne d’avoir accès aux transports ou de travailler.(11)

Un cas médiatisé de contrôle coercitif ayant entraîné la mort

Le 19 février 2020, Rowan Baxter a assassiné son ancienne compagne Hannah Clarke et leurs trois enfants dans le Queensland, en Australie.(12)

Hannah Clarke avait subi des années de violences psychologiques, économiques et sexuelles de la part de son conjoint, qui contrôlait et surveillait ses déplacements, les personnes qu’elle pouvait voir, ce qu’elle pouvait porter, son accès à l’argent, et menaçait de nuire à leurs enfants si elle n’avait pas de relations sexuelles avec lui. Les tactiques utilisées dans ce cas sont toutes des exemples de contrôle coercitif. Les violences ont également continué après que Clarke a quitté Baxter, quelques mois avant qu’il ne l’assassine.

Statistiques clés

  • Le sociologue et travailleur social médico-légal américain Evan Stark a publié un rapport en 2012, qui a révélé qu’entre 60 et 80 % des femmes qui demandent de l’aide pour des violences conjugales ont subi un contrôle coercitif, y compris de multiples tactiques pour les effrayer, les isoler, les dégrader et les subordonner, ainsi que des agressions et des menaces.(13)
  • Au cours de l’année se terminant en mars 2020, 24 856 infractions de contrôle coercitif ont été enregistrées par la police en Angleterre et au Pays de Galles, contre 16 679 au cours de l’année se terrminant en mars 2019. Cette augmentation pourrait être attribuée aux améliorations apportées par la police pour reconnaître les incidents de contrôle coercitif et, en conséquence, à l’utilisation du Serious Crime Act de 2015.(14)
  • Au cours de l’année se terminant en décembre 2019, 1 057 prévenus ont été poursuivis en Angleterre et au Pays de Galles pour comportements contrôlants ou coercitifs en combinaison avec une autre infraction. Les coups et blessures ordinaires étaient l’infraction pour laquelle les défendeurs étaient le plus souvent poursuivis, combiné à un comportement de contrôle ou de coercition.(15)
  • Un examen des homicides liés aux violences conjugales en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, entre mars 2008 et juin 2016, a révélé que sur 112 homicides, 111 comportaient des tactiques de contrôle coercitif par l’agresseur sur sa victime avant de l’assassiner.(16)

Arguments en faveur de la criminalisation du contrôle coercitif

Les partisans de la criminalisation du contrôle coercitif affirment que ces lois contribueraient à modifier la manière dont les autorités comprennent et répondent à la violence de genre et à mieux tenir les auteurs pour responsables, en se concentrant sur la violence conjugale en tant que schéma de violence, plutôt qu’en tant qu’incidents isolés.(17)

La criminalisation du contrôle coercitif améliorerait la prise de conscience de la société et renforcerait la sécurité des femmes en se concentrant sur les schémas de violence plutôt que sur des incidents isolés, et sur toutes les formes de violence plutôt que sur la seule violence physique.(18)

L’introduction du contrôle coercitif dans les codes pénaux permettrait aux procureurs d’accéder à davantage de preuves pour établir la présence de violences conjugales y compris, entre autres, aux documents financiers, à des communications téléphoniques et numériques, et aux déclarations de témoins.(19)

Arguments contre la criminalisation du contrôle coercitif

Les opposants à la criminalisation du contrôle coercitif soutiennent qu’une réforme législative réussie reposerait sur la volonté et la capacité des victimes à impliquer la police. Cependant, les victimes hésitent souvent à signaler les sévices.(20)

Cela peut être dû à la peur de ne pas être crues, que les violences s’intensifient si la police intervient, ou d’être tenues responsables de sévices commis à leur encontre.

Pour les affaires portées devant les tribunaux, une question clé est de savoir comment prouver la coercition. Considérées individuellement, de nombreuses tactiques de contrôle coercitif ne sont pas criminelles, ce qui peut rendre l’obtention de preuves difficile.

Sans une réflexion approfondie, la criminalisation du contrôle coercitif peut donner aux victimes un faux sentiment de sécurité qui, à son tour, pourrait nuire à leur sécurité.

Légiférer sur l’infraction du contrôle coercitif peut également encourager les forces de l’ordre à attendre l’émergence d’un modèle de violence avant de procéder à une arrestation, plutôt que d’agir sur un incident isolé.(21)

Certains affirment que la criminalisation du contrôle coercitif pourrait avoir un effet négatif sur les populations marginalisées qui, dans de nombreux pays, sont déjà confrontées à des problèmes d’interventions policières excessives et de discrimination raciale.(22)

Les barrières linguistiques, par exemple, pourraient conduire à une mauvaise identification de l’auteur et empêcher la police de bien comprendre la situation.

Les partisans de la criminalisation du contrôle coercitif affirment que ces problèmes peuvent être résolus par une législation soigneusement rédigée, des investissements dans la formation des officiers de justice et l’éducation du public.

Pays ayant criminalisé le contrôle coercitif, pays examinant le contrôle coercitif

En 2015, l’Angleterre et le Pays de Galles sont devenus les premiers pays au monde à légiférer contre « les comportements de contrôle ou de coercition dans une relation intime ou familiale », avec l’adoption de la loi Serious Crimes Act de 2015, rendant le contrôle coercitif passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.(23)

Après l’Angleterre et le Pays de Galles, en 2018, l’Écosse et l’Irlande ont adopté des lois similaires sur le contrôle coercitif et les violences conjugales.(24)

L’État de Tasmanie en Australie est devenu la première juridiction du pays à inclure des infractions spécifiques pour criminaliser des éléments du contrôle coercitif, tels que l’intimidation, la violence économique et psychologique.(25)

Toutefois, de plus en plus d’appels sont lancés pour que le contrôle coercitif devienne une infraction pénale dans toute l’Australie. En septembre 2020, le parti Labor du NSW a présenté au Parlement un projet de loi visant à criminaliser le contrôle coercitif, avec une peine maximale de dix ans.(26)

En novembre de la même année, une alliance fédérale multipartite a été formée, appelant à une approche nationale pour comprendre et criminaliser le contrôle coercitif.(27)

Le gouvernement du Queensland a également annoncé cette année son intention de mettre en place un groupe de travail indépendant chargé de mener des consultations sur une éventuelle législation en matière de contrôle.(28)

Législation des meilleures pratiques pour criminaliser le contrôle coercitif.

Le Domestic Abuse Act écossais de 2018 sur les violences conjugales, qui est entré en vigueur le 1er avril 2019, est considéré comme la référence absolue au niveau mondial pour la criminalisation du contrôle coercitif et des violences conjugales.(29)

Votée à l’unanimité par le gouvernement écossais, la législation crée une infraction spécifique de « comportement abusif envers [un/une] partenaire ou ex-partenaire , qui couvre non seulement les violences physiques, mais aussi les sévices psychologiques et les comportements coercitifs et contrôlants.(30)

Il peut s’agir d’un agresseur qui isole sa victime de ses amis et de ses proches, qui contrôle ses activités quotidiennes, qui l’effraie ou l’humilie.(31)

Conformément à la Convention d’Istanbul, la législation écossaise reconnaît également l’impact négatif de la violence conjugale et du contrôle coercitif sur les enfants