TRIBUNE. Féminicides : « Monsieur le Président, quand serons-nous entendues ? »
Près de 50 féminicides depuis le début de l’année. Une « terrible piqûre de rappel » soulignant « l’insuffisance » de l’action du président de la République contre les violences faites aux femmes, selon plusieurs personnalités et associations (Nathalie Tomasini, Femen France, Osez le féminisme, la Maison des femmes 93…). Elles lui adressent une lettre ouverte.
Voici leur tribune : « Monsieur le président de la République. 1er mai 2022, Vaulx-en-Velin : une mère de famille mortellement poignardée, son époux en garde à vue. 4 mai, Dordogne : l’autopsie confirme la thèse d’un féminicide suivi d’un suicide. 4 mai, Yvelines : un homme de 27 ans mis en examen pour féminicide. 8 mai, Lyon : une femme retrouvée morte, son compagnon en garde à vue. 9 mai, Saône-et-Loire : les corps de deux femmes et d’une enfant découverts poignardés, le suspect, père de la fillette, retrouvé mort. 9 mai, Val-de-Marne : un homme poignarde sa compagne, lui coupe une oreille et lui crève les yeux. 14 et 16 mai, Béziers : de nouveaux féminicides…
Pouvons-nous encore fermer les yeux ? Ce mois de mai 2022, mois meurtrier de femmes et d’enfants, doit être pour votre gouvernement une terrible piqûre de rappel, qui souligne l’insuffisance de votre action. Presque 50 femmes sont mortes depuis le début de l’année. Il n’y a aucune baisse significative des chiffres des féminicides (141 en 2019 ; 110 en 2020 ; 121 en 2021).
Lire aussi – Égalité femmes-hommes : après le Grenelle contre les violences conjugales, Isabelle Rome devient ministre
Oui, Monsieur le Président, au-delà d’une communication adroite en faveur d’une prise en charge des victimes de violences intrafamiliales, il n’y eu lors de votre précédent quinquennat, aucune réelle volonté politique qui ait pu se traduire en actions déterminantes et mise à disposition de moyens suffisants pour juguler ce fléau des violences conjugales qui s’avère pourtant être une priorité de santé publique.
Aussi, les victimes espèrent avec une fébrilité certaine que les ministres nouvellement nommés soient à la hauteur de cet enjeu sociétal qu’est cette nécessaire lutte contre les violences intra-familiales.
Monsieur le Président, quand serons-nous entendues ?
Monsieur le Président, en ce qui concerne les moyens mis en œuvre jusqu’à présent : que ce soient les téléphones grave danger ou les bracelets anti-rapprochement, ils sont, vous le savez, en nombre insuffisant au regard des 225 000 plaintes déposées pour violences conjugales chaque année en France. Au-delà du manque d’effectifs des policiers et magistrats qui encadrent l’ensemble des plaintes déposées, la majorité des associations et des professionnels avertis ont souhaité la création de brigades spécialisées violences conjugales et leur généralisation dans tous les commissariats de France, ainsi que la création de tribunaux spécialisés afin qu’il y ait une coordination réelle et efficace entre le juge civil et le juge pénal.
Lire aussi – Au procès de sa fille, Jean-Jacques Bertin se bat pour que la justice prenne mieux en compte les féminicides
Monsieur le Président, quand serons-nous entendues ? Au-delà des effets d’annonces, la formation des professionnels et la nécessaire radicalisation des sanctions à l’encontre des auteurs de violences conjugales ne sont toujours pas mises en œuvre. Compte tenu de la dangerosité des auteurs de violences conjugales et de la multiplicité des féminicides, il convient de :
- Réfléchir à la nécessité de mettre en place des peines planchers pour ce type de crimes.
- Réfléchir à introduire une nouvelle exception au principe de légitime défense pour les femmes atteintes d’un syndrome de femme battue, qui tuent leur compagnon violent pour ne pas mourir
- Réfléchir à élargir l’appréciation de « l’abolition du discernement » des femmes victimes de violences depuis des années lors d’un passage à l’acte
- Réfléchir, pour protéger les victimes de violences conjugales, notamment celles victimes de tentatives d’homicides, à la mise en place d’un processus d’exfiltration (avec système de protection et changement d’identité…)
- Envisager, à l’ère du numérique, une application gouvernementale et gratuite dans les mobiles de toutes les Françaises en lien direct avec les commissariats les plus proches plutôt que la lourdeur de la fabrication et l’attribution des téléphones grave danger…
Cette réflexion doit être interministérielle, en lien étroit avec les associations de victimes qui pourraient être force de proposition d’une feuille de route pour le quinquennat à venir. Monsieur le Président, votre Première ministre Elisabeth Borne a exhorté « les petites filles de France à aller jusqu’au bout de leurs rêves », il vous appartient de leur en donner les moyens !
L’heure est grave, des femmes meurent, la colère des victimes est immense
Il vous faut désormais, au-delà des mots, poser des actes forts. L’urgence est le vote d’un budget spécifique violences conjugales à la hauteur des enjeux soit, à minima d’un milliard d’euros ! Si vous souhaitez maintenir comme une priorité la lutte contre les violences intrafamiliales pour les cinq ans à venir, il vous faut aujourd’hui mettre les moyens « sur la table ». En espérant, Monsieur le Président, que cette lettre publique ne restera pas lettre morte…